La galerie Taménaga, à Paris, nous présente un panorama de l'abstraction japonaise contemporaine entre artistes reconnus et découverte. Cette exposition est placée sous la figure tutélaire de Kazuo Shiraga (1904-2008), fondateur du mouvement Gutaï, qui dans les années 1950 associait danse et peinture. On peut apprécier une de ses œuvres à la fois gestuelle et empatée "Kirin" de 1987 qui conjugue expressionnisme et tentative de se libérer du passé.
Kazuo Shiraga détail de Kirin (1987) |
5 peintres Rikizo, Toshiyuki Kajioka, Reika Matsuda, Nuit Sano, Tamihito Yoshikawa sont présentés avec une sélection de 4 à 10 peintures environ chacun. Cette exposition remarquable et réjouissante pour l'esprit et la peinture, nous présente de nouvelles approches d'une abstraction haptique dont les racines plongent profondément dans une approche esthétique japonaise et qui fait écho à des travaux présentés par notre association d'artistes.
Rikizo |
Rikizo (né en 1946), dont l'œuvre est bien connu en France où il réside depuis 1975, travaille un vocabulaire de formes rouge et noir (essentiellement faites des rectangles pliés) assemblées en rythmes sériels qu'il conjugue avec des effets de texture. Il est évidemment tentant de rapprocher son travail de celui de Soulages, bien qu'il s'en démarque par des motifs qui ne sont pas sans rappeler la calligraphie japonaise (shôdo) et ceux de l'art de l'origami. Son art sacré, hiératique, silencieux, vide et équilibré évoque l'essence même du bouddhisme de Kyoto.
Toshiyuki Kajioka |
détail |
Toshiyuki Kajioka (né en 1979) offre des oeuvres bien différentes faites d'encre de chine et travaillées au crayon graphite sur papier de chanvre monté sur châssis. Il tente de retrouver dans des variations multiples du noir le flux, les vortex de l'eau courante dans la nuit. Il offre un lien direct avec l'expérience visuelle fondatrice et préexistante à l'œuvre : la traversée d'un pont au dessus d'une rivière la nuit à Tokyo, où l'artiste laisse filer son regard dans l'écoulement de la nuit et de sa jeunesse passée.
Reika Matsuda |
détail |
De Reika Matsuda (née en 1982) qui semble avoir vécu une partie de son enfance en Touraine, il nous est présenté des toiles faites de dégradations rythmées de champs de couleurs verticaux alternant couleurs chaudes et froides. Chaque strie de couleur est faite d'un entrelacs, un pattern répété d'un trait de pinceau égal comme cousu ou tissé. Se sentant incapable de saisir le réel, Reika Matsuda tente de construire un système qui la rassure et calme notre angoisse existentielle.
Nuit Sano |
Nuit Sano (née en 1932) est une artiste bien connue au Japon. Son oeuvre évoque un journal intime, presque les Ukiyo-e, ces images du monde flottant que la période Edo nous a offertes, évoquant la vie quotidienne au Japon. Ici Nuit Sano semble nous raconter sa vie entre atelier, création et vie quotidienne. L'oeil chemine entre taches bleues, traits et pointillés fait d'un geste étroit. Improvisée, la construction de l'espace pictural se fait cubiste, évocation de paysages ou d'intérieur, déambulation entre Braque, Patrick Héron, Chuta Kimura ou Shirley Jaffe combinée à un sens de l'abandon, du laisser-faire, un lâcher prise qui accepte l'inéluctable incapacité à achever, à conclure de manière définitive et triomphante.
Tamihito Yoshikawa (né en 1965), dont on déjà vu et commenté sur les cahiers une exposition, nous donne à voir des œuvres lourdement empâtées de couleurs simples jaune, rouge, vert, bleu, écrasées et raclées d'un large coup de couteau sur toute la surface de la toile en un effet de flou et de vitesse. En contrepoint un sur-empatement de Jaune vient conclure en un point d'exclamation la toile. Héritier de Richter et de Olivier Debré, cousin de Bernard Frize, son travail abstrait se veut l'expression des saisons, entre facture volontaire et impressionnisme abstrait dans la tradition orientale du changement de la nature.
E.L.
A voir à la
Galerie Taménaga
18 avenue Matignon
75008 Paris
jusqu'au 26 Mars 2020