lundi 31 octobre 2022

ALFREDO SIDES - IX - EPILOGUE

Depuis la publication en octobre 2022,  des mises à jour (17/01/2024)  avec de nouvelles informations sont sur :

https://eriklevesquenotebook.blogspot.com/2023/03/une-biographie-de-alfredo-sides.html

9 - Épilogue

En regardant Notre-Dame en 2022
Même point de vue en 1960 !(201)

L’ensemble des biens immobiliers de Sidès est vendu en lots. Sa légataire universelle est Ida Carasso, sa sœur. En 1962, elle vend ses parts à Alice DeLamar. Deux legs, une sculpture (1947-1948) de Knoop (193) et une terre cuite de Jean-Baptiste Carpeaux, Descente de Croix(194) (1858-1869), sont refusés par les musées nationaux (195). L’œuvre de Carpeaux est acquise en 1965 par le Louvre et se trouve  aujourd’hui au musée d’Orsay.
En 1958, le Salon des Réalités Nouvelles lui rend « Hommage », en présentant des œuvres de Robert et Sonia Delaunay, Sophie Tauber-Arp et Wols « où le rose mystique (196) surgit comme une splendeur de grâce (197) ». 

À son domicile new-yorkais, en 1956, Consuelo Sidès reçoit la visite de Judith Malina, fondatrice du Living Theatre, qui trouve la riche veuve fort bavarde « sur l’habitude des Eskimos de laisser mourir les grands-mères dans la neige (198) ». Consuelo Hatmaker-Sidès meurt le 24 mai 1966 et est enterrée dans le mausolée familial, temple néo-classique de marbre blanc (199), au cimetière de Woodlawn à New York.

Mercedes de Acosta revient à Paris en 1948, elle est accueillie par Sidès dans son hôtel rue Git-le-Cœur, pillé par les Allemands, et obligée de dormir sur un lit de camp avec une simple couverture (200). Elle prétend avoir été accueillie par Sidès, Rose Adler et René Gimpel. René Gimpel étant mort d’épuisement au camp de concentration de Neuengamme en 1945, elle confond sans doute René et son fils Pierre Gimpel. 

Alice DeLamar, co-propriétaire depuis 1962,  de la rue Gît-le-Cœur  en fait son pied-à-terre parisien où, avec Eva Le Gallienne qui partage sa vie, elles viennent annuellement en villégiature. Les petits appartements en duplex sont décorés de manière pittoresque de pots en étain ou de céramiques, sans aucun faste, comme on peut le voir sur les photos d’époque (201). Alice DeLamar est une des premières collectionneuses de Bernard Buffet qu’elle présente dans ses galeries aux États-Unis. Elle meurt en 1983. Ses collections sont vendues aux enchères le 11 avril 1984 par Philipps à New York (202). Eva Le Gallienne s’éteint en 1991, ses derniers biens sont mis à l’encan à Drouot. A partir de 2012, une historienne Nona Footz publie sur son blog "The Manuscript Hunter - In search of Alice DeLamar story",  une partie des archives d'Alice Delamar récupérées à sa mort dans des sacs poubelles sur le trottoir de New York  ! Parmi ses archives des photos du 1 rue Gît-le-Cœur.

Chez Alice DeLamar rue Gît-le-Cœur (201)   

A partir d'octobre 2022, la publication en ligne et en papier de cet article, à l'occasion du salon des Réalités Nouvelles 2022,  de cette série de billets entraînent des réactions, l'apport de nouvelles archives, nous tenons à remercier celles et ceux et qui nous ont communiqué ces archives dont nous donnons ici un aperçu rapide, éléments parmi d'autres qui seront repris dans une prochaine publication mise à jour. 

  • Jeunesse
  •  Alfredo Sidès était le camarade de classe en 1889 à l'Institution Springer de Georges Mandel (1885-1944), dont on rappelle qu'il fut, par la suite, le chef de cabinet de Clemenceau en 1917, le créateur de l'Aéropostale, ministre de l'intérieur en 1939 et lâchement assassiné par la milice française en 1944 à Fontainebleau.
  • Alfredo Sidès, fut un membre actif et respecté de la communauté judéo-grecque de Paris et de Salonique, réputé pour ses qualités de danseur et de mime avant 1903, et ami de Guillaume Apollinaire.
  • Alfredo Sidès, est caissier et fondé de pouvoir de la banque d'affaires Levy-Modiano de 1903 à 1912, jusqu'à ce que les banques de Salonique soient ruinées par la guerre italo-turque qui aboutit à la restitution de Salonique à la Grèce par la Turquie.
  • Alfredo Sidès est dénoncé comme franc-maçon par l'extrême-droite en 1908.

 

  • Famille


Elie Sidès, son père, est mort le 17 janvier 1907 à Salonique. Il était caissier principal de la banque de Salonique (203) dont la maison mère est à Constantinople (Turquie). Sa mère est Pava-Paola Nahmias, 1861-1946. Il a un frère Henri dont le nom apparait sur les faire-part et deux sœurs. Flores est née à Salonique 27 octobre 1889, elle épouse Moïse Aron Mano, né au Caire le 1er septembre 1870 travaillant pour la société Fils de Cicurel et Cie, et décédé 11 juillet 1921. Flores décède à 21 ans le 28 septembre 1909 à Paris 24, rue Chaptal Paris IXe. Elle est enterrée avec sa mère et son mari au Cimetière du Montparnasse, dans la section 24 dans une tombe familiale de marbre noir Famille Mano Sides (204).

Sa sœur Ida est née le 10 octobre 1889 à Salonique et a épousé Joseph Carasso à Salonique, le 19 septembre 1907 (205). Joseph Carasso travaille pour les Llyod autrichiens. Veuve en 1962, elle réside 41 rue des Martyrs Paris 9e et est de nationalité italienne. Est-ce à elle et son mari, a qui le gouvernement de Vichy a retiré la nationalité française en 1942, quand ils sont domiciliés à Marseille ?


En regardant le Louvre depuis chez Sidès, 2022.

Le Salon des Réalités Nouvelles son association, son organisation autogérée par les artistes continue... toujours sur une idée d'Alfredo Sidès.

Notes :

193 - Guitou Knoop (1902-1985), sculptrice franco-néerlandaise, élève de Bourdelle et Despiau, elle évolue de la figuration du portrait à l’abstraction.
194 - L’œuvre se trouve au musée d’Orsay, Paris, sous le numéro d’inventaire RF 2881 et dans le catalogue raisonné de Jean-Baptiste Carpeaux, avec le n°170.
195 - Archives Nationales. Répertoire numérique n°20150159. Contexte de l’unité de description : Archives des musées nationaux – Service des œuvres d’art de la Réunion des musées nationaux (sous-série 2CC) 0150159/1- "20150159/99 _ Acquisitions 20150159/13-20150159/74 _Libéralités refusées : dons et legs 20150159/19- 20150159/20_Unité de description :20150159/20 I-W. 
196 - Rose mystique, symbole chrétien de la Vierge, mère de Dieu.
197 - In LP Favre, « Le Salon des Réalités Nouvelles », Combat, 18 juillet 1958.
198 - Judith Malina, The Diaries of Judith Malina: 1947-1957, Grove Press, New York, 1984, p.395.
199 - Consuelo “Connie” Hatmaker Sides (31 Jul 1902–24 Mai 1966), Woodlawn Cemetery, Bronx, Bronx County, New York, USA. Concession Holly Plot, section 114. Le mausolée peut être vu sur le site Find a Grave, base de données et images (https://fr.findagrave.com/memorial/184331157/consuelo-sides: consulté 14 septembre 2022).
200 - Ibid note 37, p. 327.
201 - Pour voir les photos sur le site The Manuscript Hunter, in search of Alice DeLamar story,
https://manuscripthunter.wordpress.com/category/alice-delamar/ (consulté le 13 septembre 2022).
Ce blog créé par Nona Footz est dédié à Alice DeLamar est basé sur les lettres et photographies, récupérées dans les sacs poubelles de la liquidation de ses affaires en août 1983 après son décès à New York.
202 - Voir le catalogue « Furniture, Decorations and paintings. From the Estate of Alice DeLamar, Wednesday, April 11th », 1984, Phillips, New York.

203 - Journal de Salonique le 20 janvier 1907
204- - La tombe contient également les dépouilles de Ricoula Mano (1869-1933) ep. Ménahem Bourla, André Bourla (1889-1931), Suzanne Levy ep Bourla née 1906-2002), Andrée Bloch (1897- 1957) et Estirina Misrachi (1857-1912) ep Levi Nahmias.
205 - in le Journal de Salonique le 20 septembre 1909.

 

@ Erik Levesque, Article Alfredo Sidès, une esquisse biographique, Epilogue (9/9) septembre/novembre 2022.




41 rue des Martyrs 


vendredi 28 octobre 2022

ALFREDO SIDES - VIII - LE SALON DES REALITES NOUVELLES

8 - 1946 : renaissance des Réalités Nouvelles


Au lendemain de la guerre, Fredo Sidès et Sonia Delaunay travaillent de concert à la renaissance de l’exposition « Réalités Nouvelles » dont la quatrième partie n’avait pas eu lieu en 1939. L’association Réalités Nouvelles se substitue à Abstraction-Création, formée en 1931, en reprenant les mêmes statuts. Abstraction-Création est une association d’artistes dédiée à l’art abstrait qui était présidée par Auguste Herbin à laquelle participait Sonia Delaunay, entre autres. Les statuts sont conservés et A.Fredo-Sidès en est le président, Auguste Herbin son vice-président. L’association est sise 1 rue Gît-le-Cœur chez Sidès qui gère l’association depuis son secrétaire vénitien du XVIIe siècle en poirier noir décoré d’une
élégante marqueterie géométrique (168). Les réunions d’organisation et de sélection auront lieu là une fois par mois (169). Quand on visite la maison de couleur saumon, on imagine aisément que les réunions ont eu lieu dans le vaste hall du rez-de-chaussée plutôt que dans les pièces exiguës des appartements accessibles par un étroit ascenseur ou par l’escalier du XVIIe siècle à tomettes, dont la rampe est faite d’épaisses poutres de bois de chêne noirci.  Dans le hall, trônait une sculpture de Rodin selon le témoignage de Ludwig Bemelmans (170) qui y vécut dans les années 1950. Est-ce le marbre de La Méditation ou est-ce le bronze de Mère et enfant ? Dans les années 1970, des tapisseries de Lurçat et des tableaux vénitiens étaient encore présents dans les parties communes provenant de
galeries vénitiennes ou lombardes(171). Fredo Sidès laisse les artistes se coopter, il agit bien en « imprésario » (172) , c’est-à-dire qu’il s’occupe de l’organisation matérielle de l’exposition qui aura lieu au Palais de New York, l’actuel musée d’Art moderne de la Ville de Paris, exposition qu’il s’agit aussi d’envoyer en tournée à Lille, Boulogne-sur-Mer ou Bordeaux. Chaque artiste est le coproducteur de
l’événement, en payant sa cotisation à l’association, soit comme membre-sociétaire, soit comme exposant. Sidès est le président-fondateur qui organise, comme il sait le faire depuis 1916 et le gala de soutien de New York à l’effort de guerre, ou dans l’organisation du syndicat des harpistes de 1919 ! 

La première secrétaire de l’association n’est autre que Nelly van Doesburg, la veuve de Theo, la pianiste virtuose sous le nom de Petro van Doesburg, et artiste plasticienne sous celui de Petro Cupera. Elle est remplacée par Felix Del Marle pour la deuxième édition dont les membres du comité sont Jean Arp, Besançon, Sonia Delaunay, Dewasne, Gleizes, Gorin, Anton Pevsner et le trésorier Honoré-Marius Bérard. Tout ce qui compte de peintres abstraits vient participer à l’évènement placé sous l’égide d’un comité, dont Auguste Herbin est le vice-président. Le Salon passe de 60 participants la première
année à 350 les années suivantes. Commentant le deuxième salon de 1947, Charles Estienne remarque, dans son article « Les Arts » dans Combat que celui-ci consiste « à rassembler les artistes sans aucune autre restriction que la “non figuration”. Entendons par là, le rejet délibéré, dans une œuvre d’art, de l’imitation, la reproduction, et même la déformation ou la stylisation de formes provenant de la nature, de la réalité extérieure. C’est au temps, précise M. Sidès, à donner à chacun sa place. » Certains artistes renoncent à participer faute de moyens financiers comme Raoul Hausmann l’écrit, sans doute à Nelly van Doesburg, dans une lettre datée du 9 août 1951 : « Chère amie, (...) Je n’ai pas exposé avec Réalités Nouvelles. Je n’ai pas l’argent pour les encadrements (173). » 

D’autant que le Salon ne vend pas. Les œuvres sont négociées en dehors, après le salon. Sidès cherche à associer les galeries, que ce soient Gimpel, Jeanne Bucher, ou à l’exemple de Denise René qui présente ses artistes groupés ensemble, ce qui ne manque pas de créer des rancœurs parmi les exposants, rancœurs nées tout autant du passage des commissions d’achats des musées.
Sides organise un comité d’honneur où l’on retrouve des conservateurs de musée comme Andry-Farcy du musée de Grenoble, Bizardel de la Ville de Paris, Cassou et Dorival du musée d’Art moderne, René Huyghe conservateur du Louvre, des acteurs comme Jean-Louis Barrault, des professeurs d’esthétique comme Matila C. Ghyka ou Étienne Souriau de la Sorbonne. Marie Cuttoli et Salomon Guggenheim, fondateur du Museum of Non-objective Painting de New York. Il ajoute, fait rare pour l’époque, la publication d’une revue, les « Cahiers des Réalités Nouvelles », publiée pour chaque salon avec reproductions en noir et blanc d’une œuvre accompagnée d’un texte(174) choisi par l’artiste (une citation, une phrase...) et un fascicule cataloguant les œuvres exposées.

De l'impressionnisme à Réalités Nouvelles


En 1948 est publié dans le catalogue un schéma qui présente les origines des Réalités Nouvelles, tableau généalogique et synoptique des différents mouvements successifs de l’abstraction, art non figuratif, de l’Impressionnisme à Réalités Nouvelles. Un premier manifeste est joint, tiré à part, non signé, de 3000 signes environ. Il y est fait le dithyrambe de l’abstraction non figurative et non objective, expression de l’élément spirituel de l’homme par les moyens propres à l’art, de ses artistes qui vivent loin du marché, de l’obligation qui leur est faite d’organiser le Salon pendant les vacances scolaires, donc sans public. Pour marquer le succès du Salon à l’international, les artistes sont regroupés par nationalité. Le 25 juillet 1948, František Kupka remercie Fredo Sides après le vernissage des Réalités Nouvelles « pour les progrès notables des exposants » dans un art « séparé de la morphologie de la nature autonome, trop autonome (175). » Quand en 1948 Auguste Herbin souhaite écrire un deuxième manifeste d’art abstrait, non figuratif, non objectif, Sidès précise bien que cela doit être débattu. À l’assemblée générale du 15 décembre 1948, Fredo Sidès déclare : « Chers collègues, lors de notre dernière AG vous avez tous été unanimes sur l’opportunité de définir dans un manifeste notre position par rapport au mouvement artistique contemporain. Notre salon comprenant différentes tendances, il est indispensable que chacune d’elles soit représentée en technique et en théorie dans le futur manifeste afin que ce dernier reflète fidèlement notre attitude commune et donne l’impression d’une cohésion parfaite et d’un accord complet entre nous tous. Il nous semble possible d’y arriver si chacun de vous y met du sien et envisage la question en toute objectivité. Nous venons donc vous demander de répondre au questionnaire ci-joint. Dès réception de vos réponses, et en tenant compte de ces dernières, notre comité élaborera un texte provisoire qui vous sera soumis lors d’une prochaine assemblée générale spécialement convoquée à cet effet (176). » Suit un questionnaire qui comportait les quatre points suivants : « 1 – Définitions de l’art abstrait et non figuratif. Théories et techniques. 2 – Revendications particulières aux Réalités Nouvelles (expositions à l’étranger, achats de l’État, etc.). Revendications professionnelles générales (révision des locaux professionnels, ateliers, etc.). 3 – Attitude à prendre par les Réalités Nouvelles devant les attaques injustifiées dont est l’objet l’art abstrait. 4 – Suggestions et propositions diverses. (177) ». Le questionnaire ne reprend donc que très partiellement celui de 1939 auquel avait répondu Duchamp, Mondrian, Kandinsky, qui s’envisageait comme fiche d’identité, et devient ici celui revendicatif d’un syndicat de harpistes !


Comme l’écrit Domitille d’Orgeval, dans sa thèse sur l’origine du Salon : « Envoyé le 15 décembre 1948, le questionnaire devait être retourné avant le 15 janvier 1949 au comité. Les réponses reçues se classent grosso modo en trois catégories : la première comprend les artistes qui se sont ralliés aux propositions du manifeste, la deuxième ceux qui s’y opposent parce qu’ils en contestent la teneur, la troisième ceux qui s’y opposent parce qu’ils en refusent le principe même (178). »

Pour le jeune Pierre Soulages qui avait participé au Salon de 1948, il est impossible de souscrire à toute définition dogmatique. Dès la réception du questionnaire, il écrivit une longue lettre à Hans Hartung pour le tenir au courant et convenir avec lui d’une réponse à adresser au comité du Salon. Dont voici un extrait : « À propos d’histoire de l’art et de théories esthétiques, le comité des Réalités Nouvelles ne désarme pas ! Voici le questionnaire que nous avons tous reçu, et qu’il faut remplir avant le 15 janvier (...) les voilà maintenant qui se prennent pour la Gestapo. En tout cas, cela est clair, tout est fait pour le 3e salon et pour nous entraîner dans le conflit qu’Herbin n’a pas réussi à déchaîner avec son premier manifeste. Je crois qu’on ne peut pas ne pas répondre. Marie Raymond pense que nous devrions faire une réponse collective. Je verrai ce que pense Schneider. Pour ma part je crois qu’on ne peut pas donner de définition de l’art abstrait. Cet art-là étant une chose vivante, on ne peut prévoir ses développements. La seule définition que l’on puisse donner serait en dehors de toute théorie sur les deux dimensions, sur la 4e dimension, sur la couleur des aplats, etc. et établie en fonction de l’art figuratif, par exemple : art qui a des moyens d’expression en dehors de la nature, de la réalité visible. Mais tout cela n’a aucune utilité. Au 2° tout le monde a des revendications à formuler. Au 3° se trouve la question épineuse. Je crois que nous avons à faire devant les attaques injustifiées. C’est seulement de la bonne peinture. Aux critiques d’art de se débrouiller pour défendre ou attaquer la peinture abstraite. Cela ne nous regarde pas. Qu’en penses-tu ? Mais tu dois être bien loin dans tes préoccupations sur ces potins, et de ces agissements plus ou moins sournois qui nous sont imposés(179). » Finalement, Schneider, Soulages et Hartung décidèrent de répondre par une lettre cinglante : « Tout conglomérat de mots tendant à définir d’une façon précise une manifestation de sensibilité sera toujours quelque chose de navrant (...) Nous estimons, quant aux autres questions, que ce que les membres du Salon peuvent faire de mieux contre les attaques (pas toujours injustifiées) dont ils sont l’objet, c’est d’y répondre par des œuvres de qualité. (...) Nous espérons que le comité prendra en considération notre réponse et qu’à l’avenir, il ne nous sera plus demandé de répondre à des questionnaires de cet ordre (180). » 

D’autant que la situation de 1920, avec la création du syndicat des harpistes new-yorkais ou d’un orchestre, n’a plus rien à voir avec la situation de l’après-guerre où un Auguste Herbin, ardent communiste, entend aligner le Salon et répondre aux critiques marxistes du Parti communiste sur l’abstraction. Sidès est dépassé. L’aventure du galeriste Samuel Kootz et de ses artistes (181)  est éclairante des allers-retours, hésitations et débats parisiens autour de la réception de l’abstraction, ce dont témoigne Robert Motherwell dans un courrier à son galeriste : « Si mon travail reçoit peu d’intérêt à Paris, cela ne doit pas vous étonner : c’est inévitable, depuis qu’ils ont une vraie haine de l’art abstrait et que l’atmosphère est remplie du conflit entre communistes et catholiques (182). » Refusés dans une première sélection, les artistes de Kootz, dont Baziotes et Motherwell, participent au salon de 1947. Sidès, Herbin et Del Marle forment la commission de placement du Salon, qui accroche les tableaux et place les sculptures. Carmen Herrera (183) artiste cubaine-américaine géométrique se souvenait encore, émerveillée, de l’accueil de Fredo Sidès en 1948 et du compliment à double sens qu’il lui avait donné. Elle le citait, âgée de plus de 100 ans, mais mémoire vive : « In that painting, there are many paintings, Madame (dans cette peinture, il y a beaucoup d’art, Madame) » lui dit Sidès, désignant la peinture la plus simple. Elle associait cette maxime à celle du minimalisme « Less is more » de Mies van der Rohe.
L’exposition-évènement connaît un succès immédiat dont la critique félicite Sidès : « Félicitons les organisateurs de ce Salon, entre autres son président Fredo Sidès qui dépense tant d’activité et de talent pour faire connaître au public que la peinture abstraite et la poésie pure sont sœurs jumelles et filles de la musique (184) » mais à l’occasion se moque aussi. Une exposition décalée pour Yvan Christ, dans le journal Concorde : « Aussi bien l’affirmation de M. Fredo Sidès, fondateur du Salon, nous semble-t-elle passablement logomachique (...) Je le répète : l’heure des manifestations de masse n’est pas encore sonnée pour ceux qui ont l’intention de créer des “réalités nouvelles”(185). Je souhaite, pour ma part, que l’expérience soit continuée par ceux qui possèdent une si démesurée ambition, mais je les supplie de renoncer au procédé inutile et périmé du “Salon”, pour lequel ils ne sont nullement faits et vers lequel ils viennent à la fois trop tôt et trop tard. » Ou Guy Dornand dans Franc-Tireur : « Les Réalités nouvelles ne sont autre que des abstractions, les œuvres exposées ne figurent donc rien, rien de concret, de l’objet précis(186). » Ou comme le fait le dramaturge et poète Pierre Frondaie, qui évoque la vie de ses anciens camarades de classe de l’institution Springer dans son article « Mémoires » publié le 20 décembre 1947 dans le journal L’Ordre, il se souvient et se moque de Sidès, résumant sa vie passée, de ses amours d’opérettes à celui de l’art moderne abstrait en concluant son article d’un « moi, j’aime mieux Chardin » : « L’un d’eux, Frédo Sidès, italien d’origine, français depuis sa jeunesse et aussi espagnol de cœur si j’en crois le temps où il vivait en chevalier servant devant Mme Raquel Meller, n’a eu que d’étranges idées : n’avait-il pas fondé à Mougins, le musée de la Crèche et du Santon ? Et quoi à Paris ? Le Salon des Réalités Nouvelles. Ces nouvelles réalités-là sont nourricières : Sidès défend, impose des peintures intellectuelles... J’aime mieux Chardin, ô gué, j’aime mieux Chardin (187). » . Le président de la République Vincent Auriol vient visiter le deuxième Salon le 25 juillet 1947, après avoir inauguré le Salon de l’Art Libre et le Salon de l’Afrique Française, tous présents au musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris. Vincent Auriol marque sa surprise : « J’avoue, dit-il, que je me sens déjà trop vieux pour apprécier comme il faudrait de telles recherches ; pourtant je suis sensible à ces harmonies de couleurs et j’apprécie le rythme de semblables sculptures (188). » En fait, Alfredo Sidès le reçoit comme chez lui, en son exposition dans son « Théâtre-Musée » ! Ce qui évoque le mot de Pierre Bonnard, visitant l’exposition rapporté par Libération : « Tout de même, cela existe. » En 1949, Sidès affirme dans son éditorial des « Cahiers des Réalités Nouvelles » que l’association est le « seul organisme créé pour la défense de l’art abstrait ». Il veut maintenir son exclusive autorité face au succès de l’abstraction dans les galeries parisiennes. Il insiste bien pour que le Futurisme de Marinetti et Del Marle et le Cubisme de Gleizes soient considérés comme des éléments généalogiques de l’art non figuratif. En 1950, il fait l’éloge du catalogue qui n’existe nulle part ailleurs. En 1951 après l’Assemblée générale dans la salle de géographie du boulevard Saint-Germain, il réclame l’aide du gouvernement pour exporter le Salon et l’art non figuratif. En 1952, face à l’afflux des jeunes artistes qui viennent participer en nombre, il regrette que les anciens, qui ont trouvé une reconnaissance par l’action du Salon, ne souhaitent plus participer de peur d’être confrontés à de nouvelles formes.

Le 28 août 1950, le « critique d’art Alfredo Sidès » est fait officier de la Légion d’honneur par
le ministère de l’Éducation nationale. Sa décoration lui est remise par son ami Léo
Larguier (189), qui meurt quelques mois plus tard. Le 22 août 1951, Sidès fait publier une
lettre (190) dans Combat pour que l’acteur Louis Jouvet, qui vient de mourir, soit enterré au
Panthéon et, s’il le faut, par un « référendum » !

Il crée une nouvelle revue avec Le Corbusier et Albert Gleizes entre 1951 et 1953, Forme et
Vie, dont seuls deux numéros sont publiés. En 1951, il organise une nouvelle exposition
Picabia (191). Il tente d’organiser une tournée de danse contemporaine en hommage à Isadora
Duncan en 1952. Fredo Sidès meurt d’un infarctus le 1er août 1952, après avoir rédigé son
testament le 25 décembre 1951 en faveur de l’Assistance Publique de Paris(192).

Notes

168 - Le secrétaire était repris par Alice DeLamar, puis vendu à Drouot à la mort de sa compagne Eva Le Gallienne en 1991.
169 - Ionel Jianou et Hélène Lassalle, Gilioli, Arted éd., 1971, p. 26.
170 - Ludwig Bemelmans, My Life in Art, Harper, NY, 1954, cité par le site « Une vue de l’esprit »,
www.bradburykuette.com.
171 - Toutes ces œuvres furent volées.
172 - Ibid note 169.
173 - Lettre citée par Delphine Jaunasse, Raoul Hausmann : l’isolement d’un dadaïste en Limousin, Presse Universitaire de Limoges, Limoges, 2002, p. 90.
174 - Georges Coppel, dans son Histoire des Réalités Nouvelles (1990), aime à se moquer des textes
théosophiques, ésotériques et anthroposophes qui émaillent les premiers Cahiers des Réalités Nouvelles. Archives RN/IMEC. 
175 - Vente Bodin Drouot, le 16 décembre 2011.
176 - Extrait du discours préparatoire de Frédo Sidès, daté du 15 décembre 1948 (SRN 1948,4). Archives RN/IMEC.
177 - Ibid note 74. 
178 - Ibid note 132, pp. 307-308.
179 - Lettre datant de fin 1948-début 1949, provenant des archives de la Fondation Hans Hartung & Anna-Eva Bergman, citée par Annie Claustre, pp. 61-62, note 167. Histoire d’une réception. Peintures de Hans Hartung (1922-1989) : de l’expressionnisme au détachement. Thèse de doctorat, Université Paris IV – Sorbonne U.F.R. Histoire de l’art, 2001, volume I.
180 - Lettre de Pierre Soulages, Hans Hartung et Gérard Schneider adressée à Frédo Sidès, datée du 15 janvier 1949 (SRN 1949,49). Archives RN/IMEC.
181-  Ou des marchands internationaux, Samuel Kootz par exemple, in Brassaï, Conversations avec PicassoGallimard, Paris, 1964, réed. 1997, p. 137.
182 - In Robert Motherwell, Letter to Samuel Kootz, 21 janvier 1947, The collected writings of Robert Motherwell
Motherwell, University of California Press, Berkeley, 1999, p. 41.
183 - Cité par Serge Lemoine, in « Paris est une fête » dans cat., Carmen Herrera, Lines of Sight, Whitney Museum of American Art, 2017, p. 56. Carmen Herrera (1915-2022), artiste géométrique américaine dont la carrière après un passage pendant 5 ans aux Réalités Nouvelles de 1948 à 1953 à Paris, ne démarrera à New York qu’en 2004 à 89 ans !
184 Libération le 30 juin 1946.
185 - In Yvan Christ, « Les peintres contre la peinture », Concorde, jeudi 1er août 1946, p. 5.
186 - In Guy Dornand, « Le Salon des Réalités Nouvelles », Franc-Tireur le 7 août 1946.
187 - In Pierre Fondraie, « Mémoires » publié le 20 décembre 1947 dans le journal L’Ordre, p. 1 et 3.
188 - In René Barotte, « Quand Vincent Auriol parle d’art abstrait », Libération, 26 juillet 1947, p. 2 et 4.
189 - In Le Figaro, le 28 septembre 1950, p. 7.
190 - In Combat, courrier des lecteurs, p. 2.
191 -  Ibid note 162.
192 - Le décret autorisant le legs à l’Assistance Publique est publié le 4 décembre 1961 au Journal Officiel. Un legs de 5000 nouveaux francs au bénéfice du Bureau d’aide sociale est accepté par la Ville de Paris.
Délibération du 9 mars 1961, in Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, le 28 avril 1961.

@ Erik Levesque, Article Alfredo Sidès, une esquisse biographique, Le salon des Réalités Nouvelles (8/9) septembre 2022.

A suivre...

mercredi 26 octobre 2022

Pierre Soulages (1920-2022)

 Nous avons appris avec tristesse la mort de 

Pierre Soulages

(1919-2022)

L'association des Réalités Nouvelles salue cet ami qui avait su remettre en question le salon, par son refus d'une définition dogmatique de l'abstraction et en être tout au long de ses années un compagnon de route fidèle depuis 1948, venant y exposer régulièrement, visiter et voir les travaux des jeunes artistes.

Nos pensées vont à sa famille et à ses proches. 



Une des nombreuses participations de Pierre Soulages avec Réalités Nouvelles, en Allemagne, alors RFA,  pour l'exposition Hors-les-murs à la Kunshalle de Recklinghausen en 1958.


lundi 24 octobre 2022

ALFREDO SIDES - VII - LA SECONDE GUERRE MONDIALE

Nous reprenons la publication de l'article consacré à Alfredo Sidès, le fondateur du Salon et de son association.

Episode 7 - La Seconde Guerre mondiale


Consuelo rejoint Hollywood fin 1939 et retrouve Galka Scheyer (140), peintre et collectionneuse d’origine allemande qui avait organisé la promotion des œuvres de Kandinsky et de Jawlensky sur la côte Ouest où Fredo Sidès pense la rejoindre. Dans une lettre non datée aux Gleizes, Sidès confie son intention de rejoindre sa femme installée aux États-Unis : « Consuelo insistant pour que je la rejoigne depuis les derniers événements, j’ai décidé de le faire (141). » Mais il reste en France. Installé à Mougins où il possédait une maison, il écrit à Gleizes : « Dans mes modestes 2000 m2, j’ai récolté avec fierté près de 100 kilos de raisin dont je ferai mon vin et mon potager m’a nourri, moi et mon couple de serviteurs, durant toute l’année. J’en suis si fier. » Il propose à Albert Gleizes de l’y rejoindre et de donner suite à sa promesse de venir illuminer la chapelle : « Pendant ce temps que vous y passerez, une petite maison très bien installée est à votre disposition, chauffage, salle de bains, etc. Vue splendide (142). » qui sont aussi une allusion au goût de Gleizes pour les phalanstères d’artistes de Moly-Sabata.
En octobre 1939, au début de la guerre, Frédo Sidès aide Alberto Magnelli à obtenir un laisser-passer pour quitter Saint-Bonnet-en-Champsaur, dans les Hautes-Alpes, où il s’était installé en juillet 1939 pour les vacances(143). Dans le même temps, il fonde en 1939 un musée de la Crèche et du Santon, chapelle Saint-Sébastien à Mougins, où il cache les artistes juifs comme Sonia Delaunay (144) dans ce qui s’apparente à des villages d’artistes (145).

Couverture de Septimanie Noël 1943-44 (BNF)


 Il publie le 29 novembre 1942 dans le journal Le Littoral un appel à concours pour les écolières et écoliers dans la tradition de Pétain, le « Grand Chef » :
« Pour la IIIe exposition-concours de Crèches et Santons.
Noël approche ! La fête de la Nativité, qui est par excellence symbole d’amour, de foi et d’espérance, est aussi la fête des enfants qui pensent à leur arbre illuminé et à leur crèche que viendra animer l’adorable essaim de leurs petits santons. Nous disons leurs, car nos gosses ont commencé à modeler avec succès ces charmantes figurines d’argile qu’un public nombreux a pu admirer lors de la IIe exposition-concours, organisée l’année dernière sous les auspices de l’Académie Provençale, de la Société Scientifique et Littéraire, de la Société des Beaux-Arts, du Comité de Propagande. À cette
occasion, ces groupements avaient joint leurs efforts à ceux des Scouts de France (3e Cannes) et du Musée de la Crèche et du Santon à Mougins, qui, dès 1939, avaient pris l’heureuse initiative de faire renaître dans la région la si pittoresque industrie cantonnière. À cette IIe exposition-concours, qui eut lieu dans les locaux du Sporting Club Casino aimablement prêtés par M. André et M. Duclos, avaient collaboré les élèves de vingt écoles de Cannes. Certaines œuvres présentées par nos écoliers et écolières étaient si réussies que le jury décida de choisir parmi elles deux sujets par écoles, soit en tout 40 futurs santons inédits.
Aussi, grâce à des moules spécialement fabriqués en vue de la reproduction de ces modèles originaux, nos élèves pourront reproduire et colorer quantité de ces santons qui seront offerts en vente au public durant toute la durée de l’exposition, dont un avis ultérieur fixera le lieu et la date d’ouverture.
Ainsi refleurira dans notre contrée une des plus intéressantes traditions provençales et ce sera servir que d’encourager cette branche de l’Artisanat Régional qui, on le sait, a toute la sympathie de notre Grand Chef.
Et maintenant, Écolières, Écoliers, au travail pour la IIIe exposition-concours de Crèches et Santons.
Fredo SIDES, fondateur du musée de la Crèche et du Santon, chapelle Saint-Sébastien,
Mougins (146). »

Domitille d’Orgeval, dans sa thèse, s’interroge : « Mais que sait-on exactement de l’activité de Sidès durant ces années de guerre ? La réponse nous a été partiellement donnée par un habitant de Mougins, M. Louis Lambert, une des rares personnes à nous avoir apporté un témoignage oral sur sa personne : “C’était un Juif réfugié à Mougins pendant la guerre. Il habitait alors la chapelle Saint-Sébastien et il avait acheté plusieurs maisons dans lesquelles il disait qu’il allait placer plus tard les anciens. Pendant la guerre, il a joué les braves hommes, mais à la Libération, il a tout vendu : les santons fabriqués par les petits des écoles, les moules, les ateliers, la chapelle. Il n’a rien donné et on s’est retrouvé le bec dans l’eau. Après il a disparu et on ne l’a jamais revu (147)”. Frédo Sidès caressa durant la guerre bien d’autres projets. Il y eut celui, durant l’été 1940, d’aménager dans le hall de sa maison une cantine accueillant les artistes et les intellectuels démunis (il prévoyait de 100 à 125 couverts) (148) cette initiative resta vraisemblablement sans lendemain. En revanche, celle d’ouvrir une galerie à Cannes vit le jour. Au mois de mars 1940, Sidès écrivit à Albert Gleizes pour lui faire part de son désir d’exposer un ensemble de gouaches de l’artiste : “J’ai enfin décidé avec un de mes amis d’ouvrir une galerie d’expositions dans le midi à Cannes et serai (sic) très heureux d’avoir une exposition de vos œuvres. Peut-être pourrions-nous commencer par une exposition de gouaches – une trentaine.” Rappelons que Sidès, quelque temps plus tard, revint sur cette idée, disant vouloir présenter “pour commencer une suite
d’expositions allant de Delacroix-Ingres à nos jours. Pour finir par la série d’expositions que j’ai présentées à Paris (149)”. Nous ne savons pas si ce dernier projet se concrétisa (150). » précise Domitille d’Orgeval.

Cependant l’exposition des santons créés par les écoliers de la région cannoise a bien eu lieu et fut un succès au dire du poète félibrige et docteur Paul Duplessis de Pouzilhac(151) qui dans son article « Santonniers, Folkloristes, Écrivains de France, maintenons la Flamme », publié dans sa revue régionaliste Septimanie datée de décembre 1943/janvier 1944, commente le mouvement de renouvellement de la santonnerie dans l’ensemble de la France, et en particulier dans la Catalogne française : « La croisade des santons est en marche (152) », dont le meneur de jeu n’est autre que Fredo Sidès, entouré du docteur Baudry du Jura et de sa collection de 3000 santons, de Geneviève Benoît d’Entrevaux(153), d’Odette Taffanel de Mailhac (154) et dont le théoricien n’est autre que Paul Duplessis de Pouzilhac, avec sa causerie : « Un peuple d’argile, le santon dans la Renaissance française ». Notons que la rénovation des arts populaires est un des axes de la politique culturelle du gouvernement de Vichy, qui confie l’encadrement des mouvements de jeunesses artistiques en Languedoc, la région de Septimanie, chère à Léon Chancerel (155), un élève de Jacques Copeau(156). Albert Gleizes (157) défend l’artisanat(158) et rejoint le Comité National du Folklore (159) en septembre 1941(160). Au travers de différents courriers avec Gleizes, nous savons que Fredo Sidès souhaitait donner ses collections de santons à un organisme national(161).

Santon Pétain 1940 
par Jean Gaubert visa de censure OA 133


Fredo Sidès expose une centaine de dessins de Picabia (162) du 10 au 30 avril 1943, « Cent dessins et cinq portraits de Francis Picabia », dans la galerie Art et Artisanat à Cannes. Le nom de la galerie nous rappelle, le mélange défendu de l’esthétique et du tissage de la galerie de Raymond Duncan, 62 rue du Faubourg Saint-Honoré, Paris 8e, et du travail de son Akademia, 31 rue de Seine, Paris 6e, tout autant que le travail des tapisseries Myrbor de Marie Cuttoli. Le 5 avril 1944, Sidès est à Versailles pour revendre son « Théâtre-Musée » à Georges Moser. Alors que René Gimpel, arrêté, est déporté vers l’Allemagne le 2 juillet 1944. 


Après la Libération, Sidès se bat au côté de la famille Gimpel pour récupérer les biens spoliés à René Gimpel par l’Occupation, dont le marbre de Rodin, Muse moderne, acheté sous le nom d’Eve au désespoir (1908-1910), puis devenu La Méditation en novembre 1934 lors de sa présentation dans la galerie René Gimpel. Suivant Emmanuelle Polack, Sidès et Gimpel avaient acheté la sculpture en 1923, à demi-compte, puis l’avaient présentée en 1937 dans l’exposition Les Maîtres de l’art indépendant au Petit Palais dont le conservateur honoraire n’est autre que Yvanhoé Rambosson. La sculpture est cataloguée avec une provenance unique René Gimpel. Raoul Salomon indique le 26 octobre 1945 à l’exécuteur testamentaire de celui-ci que le fruit de la vente versaillaise avait permis à Sidès de garder sa participation (163). En 1948, Sidès s’assure que le musée Rodin n’est pas intéressé par l’acquisition. Après le décès de Sidès, les légataires de Gimpel et de Sidès font affaire avec les Wildenstein qui concluent en 1969 avec la collection Meadows de Dallas où La Méditation est exposée aujourd’hui(164).


Pendant la guerre, Consuelo Sidès est aux États-Unis une personnalité du « monde libre ». En 1939, elle fait partie des donatrices pour exposer Guernica de Picasso à la Valentine Gallery. Elle donne deux peintures de Jawlensky l’une à Chicago (165) et l’autre au North Carolina Museum. Elle apparaît également comme mécène de la cinéaste expérimentale Maya Deren, à qui elle donne pour ses films 100 dollars pour At Land (1944) et 200 dollars pour Ritual in Transfigured Time (1946)(166). Enfin, elle vend du mobilier français, dont une commode signée Jacques Bircklé de 1766 ornée de laque noire et or et des peintures de Jean Pillement, les 5 et 6 décembre 1946 aux enchères chez Parke-Bernet Galleries à New York.
Le couple divorce (167).

( à suivre...)

Notes

140 - Ibid note 37, p. 313.
141 - Dans une lettre non datée à Gleizes, Sidès évoque les différentes démarches qu’il a entreprises, obtenu le visa de sortie français et celui d’entrée américain, il doit encore se rendre à Marseille pour obtenir ses visas portugais et espagnols. Dossier Frédo Sidès, fonds Albert Gleizes, bibliothèque Kandinsky, Paris, Musée national d’art moderne, ibid note 133, pp. 48-50. 142 - Voir la thèse de Domitille d’Orgeval, qui cite les différentes lettres de Frédo Sidès à Albert Gleizes, non datée et comportant comme en-tête : « Chapelle Saint Sébastien, Mougins ». Dossier Frédo Sidès, fonds Albert Gleizes, bibliothèque Kandinsky, Paris, Musée national d’art moderne, ibid note 133, pp. 48-50.
143 - Ibid note 133, p. 50.
144 - Ibid note 4.
145 - « Entre 1940 et 1943-44, se retrouvèrent à Grasse Alberto Magnelli, Jean Arp, Sophie Taeuber-Arp, Sonia Delaunay, François Stahly et Ferdinand Springer. Jean Villeri, Geer Van Velde et Heinrich Davringhausen s’étaient, quant à eux, installés au vieux bourg des Hauts-de-Cagnes ; Henri Goetz et Christine Boumeester, après un passage à Grasse, s’installèrent à Nice où ils retrouvèrent Marie Raymond, Fred Klein et Nicolas de Staël ; André Bloc était à Biot, Picabia à Golfe-Juan...  Paradoxalement, ces années de repli forcé et de misère furent aussi des années de solidarité et d’émulation. En exemple, on cite souvent les gouaches à deux, trois ou quatre mains que réalisèrent Alberto Magnelli, Jean Arp, Sophie Taeuber-Arp et Sonia Delaunay en 1942. La présence de figures pionnières de l’art abstrait fut très profitable pour les peintres d’une génération plus jeune tels que Marie Raymond, Jean Villeri, Nicolas de Staël, Tal-Coat qui, suivant leurs exemples, s’engagèrent dans
la voie de l’abstraction. Quant à Sidès, il va sans doute que le temps passé dans le Midi n’aura pas été sans incidence sur la création du Salon des Réalités Nouvelles une fois la guerre finie : il lui aura permis de pénétrer les cénacles de l’avant-garde et de resserrer ses liens d’amitié avec ses acteurs. » Ibid note 133, p. 50.
146 - Le Littoral, le 29 novembre 1942.
147- Entretien téléphonique de Domitille d’Orgeval avec Louis Lambert le mercredi 16 juin 2003. Et voir Dossier Frédo Sidès, fonds Albert Gleizes, bibliothèque Kandinsky, Paris et Dossier Réalités Nouvelles, fonds Sonia Delaunay, bibliothèque Kandinsky, Paris, Musée national d’art moderne. Ibid note 133, p. 49.
148 - Sur la vie artistique des artistes réfugiés dans le Midi de la France pendant la Seconde Guerre mondiale, cf. Claude Laugier, « Le groupe de Grasse », in cat. d’exposition, Paris-Paris 1937-1957, Centre Georges Pompidou 1981, ed Centre Georges Pompidou/Gallimard, Paris, 1982, pp. 142-144. Voir également, Mireille Pinseau, Les Peintres en Provence et sur la Côte d’Azur pendant la Seconde Guerre mondiale, Marseille, La Thune, 2004.
149 - Lettre de Frédo Sidès à Albert Gleizes non datée et écrite sur le papier à lettres de l’Hôtel Victoria à Cannes. Dossier Frédo Sidès, fonds Albert Gleizes, bibliothèque Kandinsky, Paris, Musée national d’art moderne, ibid note 132, p. 49.
150 - In Maria Lluisa Borràs, Picabia, Paris, Albin Michel, 1985, p. 423.
151 - Paul Duplessis de Pouzilhac (1882-1953), médecin, poète, éditeur, membre de l’Académie des sciences et des lettres de Montpellier. Sa revue et ses éditions sont illustrées de gravures sur bois qu’il commande entre autres à Picasso ou Gallien.
152 - Septimanie (revue éditée de 1923 à 1944), numéro de décembre-janvier 1943-1944.
153 - Geneviève Benoît d’Entrevaux (1895-1964).
154 - Odette Taffanel, (1915-2012), archéologue narbonnaise qui avec son frère Jean met à jour et étudie le site de Cayla à Mailhac (Aube) après la Seconde Guerre mondiale.
155 - Léon Chancerel (1886-1965), dramaturge français, élève de Jacques Copeau, associé au mouvement scout.
156 - in Christian Faure, Le projet culturel de Vichy, chap. II. « La rénovation des arts populaires », PU Lyon, 1989-2021, pp. 135-176. A lire sur openedition.org
157 - Gleizes a tenu des écrits politiques, favorables au nazisme et au fascisme dans la revue Régénération à partir de 1934, cité par Peter Brooke, ibid note 159.
158 - In « Artistes et artisans », L’Opinion, Cannes, 31 mai 1941.
159 - In « Comité National du Folklore », L’écho des Provinces, sept-oct. 1941.
160 - In Peter Brooke, Albert Gleizes, For and Against the Twentieth Century, Yale University Press, 2001, p. 317.
161 - Lettre non datée, Dossier Frédo Sidès, fonds Albert Gleizes, bibliothèque Kandinsky, Paris et Dossier Réalités Nouvelles, fonds Sonia Delaunay, bibliothèque Kandinsky, Paris, Musée national d’art moderne. ibid note 133, p. 49.
162 -  In Francis Picabia et Jean Sereuil, Lettres à Christine : 1945-1951, suivi de Ennazus, Collection Champ libre, Ivrea éd., Paris, 1988, p. 36, et Bernard Marcadé, Francis Picabia, rastaquouère, Flammarion, Paris, 2021, pageIII, et Francis Picabia, Musée d’art moderne de la ville de Paris, 2002, p. 458.
163 - In Emmanuelle Polack, Le marché de l’art sous l’occupation 1940-44, Tallandier, Paris, 2019, pp. 95-96.
164 - Voir la fiche du Meadows Museum de Dallas (MM.69.06).
165 - In Alexej von Jawlensky, Catalogue raisonné, Beck, 1991 p. 377.
166 - Alain-Alcide Sudres, Dialogues théoriques avec Maya Deren, du cinéma expérimental au film
ethnographique, L’Harmattan, Paris, 2000, p. 97.
167 - L’acte de décès d’Alfredo Sidès précise divorcé. Consuelo conserve son nom de mariage sur sa tombe Consuelo Hatmaker-Sidès.



mercredi 19 octobre 2022

RN Abstractions + Magnifique succès !

 WEEK-END D'ART A PARIS AU JEU DE L'OIE 













Merci au Journal des Arts et au studio Artclair !

mis à jour le 24/10.

vendredi 14 octobre 2022

ALFREDO SIDES - VI - 1939 - REALITES NOUVELLES

6 - L’exposition « Réalités Nouvelles » de 1939


C’est avec le critique musicaliste Yvanhoé Rambosson que Fredo Sidès organise la première exposition des Réalités Nouvelles en 1939, sous la férule de Robert et Sonia Delaunay à la Galerie Charpentier, 76 rue du Faubourg Saint-Honoré, Paris 8e. Comme le démontre dans sa thèse Domitille d’Orgeval (133), il est effectivement attesté que Frédo Sidès était un participant assidu des séances que Robert Delaunay avait pris l’habitude d’organiser dans son atelier tous les jeudis soir durant près d’un an (de novembre 1938 à la fin du mois de juillet 1939) pour initier les jeunes artistes à l’art abstrait. Celles-ci réunissaient de douze à vingt-cinq personnes, parmi lesquelles Albert Gleizes, Adolf Fleischmann, Daniel Baranoff-
Rossiné, Otto Freundlich, Étienne Béöthy, André Heurtaux, Misztrik De Monda ou bien  encore Serge Poliakoff. Sonia Delaunay prit le soin de décrire ces séances à Hilla Rebay, son amie l’artiste allemande qui occupait depuis 1937 le poste de directrice du Guggenheim Museum of Non-Objective Painting : « Il y a un nombre de gens de tous âges qui viennent vers cet art en attendant d’avoir un endroit où ils pourraient venir pour se documenter et s’instruire, ils viennent chez nous une fois par semaine où Robert, Albert Gleizes et Rambosson leur donnent des indications pour le travail, l’un au point de vue métier, l’autre au point de vue métaphysique et le troisième, esthétique en général. C’est une préparation
très intéressante et très instructive (134). » On sait également que Robert Delaunay commentait à l’aide de projections photographiques ses travaux ainsi que ceux de Gleizes, Léger, Lhote, Matisse, Picasso, Braque, et qu’il proposait aux jeunes peintres des exercices dont le jeune Serge Poliakoff a gardé le souvenir : « Une recherche pas très intellectuelle, c’est ce qui nous libérait. Par exemple, chaque vendredi, nous apportions chacun une petite gouache, sur le même thème. C’était très intéressant. Il disait : “Faites trois cercles dans un cercle”, un peu comme un arc-en-ciel à trois couleurs, par exemple rouge, noir, bleu, et nous faisions ce qu’il avait demandé. Mais une fois que tout était fixé au mur, je me suis aperçu à quel point nous étions – même si le format était le même – tous différents(135). »

Yvanhoé Rambosson (1872-1943) est un conservateur honoraire du musée du Petit Palais à Paris, poète et critique d’art nationaliste, passionné de musicalisme et d’Art déco. Il est le secrétaire de l’association de la fameuse Exposition Internationale des arts décoratifs de 1925. Il introduit par « GLOSE » l’exposition « Réalités Nouvelles » comme celle d’un art né en réaction à l’impressionnisme et à la photographie qu’il explique ainsi : « Les artistes sentirent le besoin d’échapper à l’emprise du spectacle quotidien et de chercher en eux-mêmes autre chose qui ne fut pas à la merci de l’objectif. » Il ajoute : « Pendant que le cubisme continuait son évolution, un autre art prenait naissance, un art qui n’utilisait que les lignes et des couleurs au service de l’imagination et du dynamisme du créateur (...) C’est cet art-là et de son développement que nous voulons offrir au public une sorte de rétrospective. Ce sont, comme le disait en 1912 Guillaume Apollinaire (136), des "Réalités Nouvelles” puisqu’elles sont, autant qu’il est possible, en dehors des aspects du monde. »

L’exposition se composait de deux expositions successives, chacune scindée en deux séries. Première exposition et première série du 15 au 28 juin, « Œuvres des artistes français », avec la participation des frères Duchamp et du couple Delaunay. La seconde série du 30 juin au 15 juillet était consacrée « aux artistes étrangers » dont Kandinsky, Kupka, Malevitch, etc. accompagnée du projet de Le Corbusier et Jeanneret pour un musée d’art moderne. La deuxième exposition, du 17 au 31 juillet, était consacrée aux « œuvres des artistes dont la tendance inobjective s’est volontairement arrêtée avant 1920 » et des « œuvres des artistes après 1920 » dont Barbara Hepworth, Jeanne Kosnick-Kloss, Sophie Taeuber-Arp... La suite, constituée d’artistes « ayant travaillé après 1920 dans ce sens », devait avoir lieu le 1er octobre. La déclaration de guerre le 1er septembre en fit long feu. Pour la description précise des enjeux esthétiques, conflits d’égos et d’artistes, nous renvoyons à la thèse de Domitille d’Orgeval sur les origines du Salon des Réalités Nouvelles (137).
Notons cependant que l’association « Renaissance Plastique », organisatrice de l’exposition « Réalités Nouvelles », est logée 1 rue Git-le-Cœur, chez Sidès. 

Le dossier Kandinsky Archives RN

Chaque artiste doit renvoyer à Sidès une fiche d’identité biographique, répondant aux questions suivantes, après les indications d’usage, nom, prénom, date et lieu de naissance, nationalité :
2 – Modalités des études artistiques et influences prépondérantes.
3 – Dans quelle exposition avez-vous pour la première fois exposé un tableau n’ayant aucun
rapport avec la vision directe de la nature (donner si possible la page du catalogue et le
libellé des œuvres exposées).
4 – Détails biographiques aussi complets que possible en collections privées qui contiennent
vos œuvres, n’oubliant pas de mentionner avec la date de vos diverses expositions
particulières ainsi que les musées et les collections privées qui contiennent de vos œuvres.
5 – Quelles sont les études parues dans les journaux ou revues ou dans les livres qui
mentionnèrent vos efforts, titres, dates et quelques extraits caractéristiques, si possible, du
début jusqu’à aujourd’hui.
6 – Quelles œuvres avez-vous exécuté en dehors du mouvement inobjectif (importance et
date).
7 – Dans quel sens, selon vous, doit évoluer la peinture contemporaine ?
On ne résiste pas au plaisir de retranscrire la réponse de Marcel Duchamp (138), l’ami de 20
ans, né le 28 juillet 1887 à Blainville de nationalité française, aux questions 4 et 7 :
4 – Collections Arensberg, Drier, P. Roché.
7 – (Sens) Interdit.
Le 15 juillet 1939, Hilla Rebay, directrice du Guggenheim Museum of Non-Objective Painting
depuis 1937, est à Paris. Elle dîne chez René Gimpel qui la nomme dans son journal par son titre nobiliaire allemand « la baronne de Rebay » : « Le goût de cet apôtre du cubisme est des plus abracadabrant. Elle a acheté des centaines de Bauer par envoûtement sexuel. (...) C’est la Catherine II de cette école. (...) Quelle soirée ! Je dois parler au bénéfice de chacun, pour Gleizes, pour Sidès qui expose les non objectifs et désire être aidé par la fondation Guggenheim (139). » Sidès n’a alors pas ses entrées chez les Guggenheim, et n’est pas défendu par Peggy Guggenheim.

Notes 

133 - Voir la thèse de Domitille d’Orgeval, Le salon des Réalités Nouvelles, les années décisives : de ses origines (1939) à son avènement (1946-1948), sous la direction de Serge Lemoine, 2007, Paris- Sorbonne, p. 43.
134 - Georges Bernier et Monique Schneider-Maunoury, dans leur biographie consacrée à Sonia et Robert Delaunay, écrivent au sujet de ces réunions : « Une soixantaine de personnes au total prenait part à ces réunions
séances d’une façon plus ou moins régulière. Il y avait là des critiques comme Yvanhoé Rambosson et Gilles de la Tourette, des animateurs du mouvement abstrait comme Frédo Sidès et des collectionneurs comme Jean Coutrot. »  In Robert et Sonia Delaunay, Naissance de l’art abstrait, Jean-Claude Lattès, Paris, 1995, p. 240.
135 - Lettre de Sonia Delaunay à Hilla Rebay datée du 24 novembre 1938, dossier Sonia Delaunay, Hilla Rebay, Foundation, Guggenheim Museum, New York.
136 - La citation est apparemment apocryphe. En effet chez Apollinaire on trouve le vers « Peinture pure, réalité. » dans l’article consacré à Robert Delaunay dans Der Sturm, en 1912. Mais on retrouve la notion de l’art comme réalité nouvelle chez de nombreux auteurs symbolistes et chez Marcel Proust dans À la recherche du temps perdu où il consacre un long dithyrambe à la nécessité de la reconstruction de l’art pour saisir la réalité et sortir de celle-ci, in Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, Le temps retrouvé, Pléiade TIII, Gallimard,
Paris, 1954, éd. 1983, pp. 895-925.
137 - Ibid note 133, op. cité.
138 - Dossier Exposition Réalités Nouvelles 1939, fiche Renaissance Plastique Marcel Duchamp, Archives RN/IMEC.
139 - Ibid note 70, p. 715.

@ Erik Levesque, Article Alfredo Sidès, une esquisse biographique, 1939 - Réalités Nouvelles (6/9) septembre 2022.

La suite ... après le salon !

jeudi 13 octobre 2022

Hiroko MATSUDA - POIROT (1933 - 2022)

C'est avec une immense tristesse que nous faisons part de la disparition

Hiroko MATSUDA - POIROT (1933 - 2022)
le 16 Août dernier à l'âge de 89 ans.





Hiroko MATSUDA, est née à Osaka au Japon. En 1963, elle est étudiante en sculpture à l'Ecole des Beaux-Arts lorsqu'elle rencontre Jean-Pierre Poirot qui lui est en peinture. Il deviendra son mari et formera avec elle l'entité artistique « POIROT-MATSUDA ». En 1967, ils exposent pour la première fois ensemble à la Galerie du Vieux Belfort, et l'année suivante présenteront « Module Photon », leurs premières recherches sur la combinatoire géométrique. A partir de là leurs travaux témoignent d'une curiosité et d'une avidité infatigable à la toucher tous les domaines et sciences qui se prêteraient à une interprétation artistique : pionniers dans l'histoire de l'holographie en 1978, puis construisant des structures volantes, concevant des labyrinthes sous toutes leurs formes et matériaux, déclinant les créations géométriques en sculptures, tableaux, impressions, gravures, triptyques, et réinterprétant les techniques anciennes des photogrammes et cyanotypes, ils exposent essentiellement en Europe et au Japon. 


A partir des années 90, ils intègrent le hasard dans leurs compositions géométriques et font participer les visiteurs à l'élaboration de leurs portraits géométriques. En 2005 l'Atelier Nicolas Schöffer accueillera leurs créations. Les incursions de Poirot-Matsuda dans l'exploration des formes organiques leur vaudra
d'exposer « Océanides » au musée Tanaka Isson au Japon et de constituer en 2010 la scénographie d'une émission dédiée à l'architecte et océanographe Jacques Rougerie.

En 2006, leur exposition « Géodésie » présente une compilation de leur travail sur la transcription de la topographie et du territoire.

Vers les années 2010, ce sont ensuite des textes poétiques qui deviennent, par un système de conversion du langage, la série de tableaux « Cryptocolor ».





Hiroko MATSUDA a vécu pleinement et avec enthousiasme sa vie d'artiste, son mari Jean-Pierre POIROT et ses proches prolongent et perpétuent cette passion.

Depuis 1963, Hiroko formait avec son époux Jean-Pierre Poirot l'entité artistique « Poirot-Matsuda ». Au cours de leurs dix-neuf participations au Salon des Réalités Nouvelles les deux artistes ont de nombreuses fois exprimé sur leur compte Facebook et leur site web la fierté et la reconnaissance qu'ils éprouvaient à pouvoir prendre part à cet évènement. 


www.poirot-matsuda.com/
https://www.facebook.com/people/Poirot-Matsuda/100063805170046/



dimanche 9 octobre 2022

ALFREDO SIDES - V - L' ACCUEIL DE MEHER BABA

Episode 5 - L’accueil de Meher Baba


De retour en France en 1937, le couple Sidès accueille dans sa maison parisienne, 1 rue Gît-le-Cœur, le gourou indien Meher Baba (112), avatar de Bouddha, qui fait vœu de silence (113) et s’exprime par gestes. Consuelo semble particulièrement en phase avec ce mystique, surtout depuis la mort de Charles Nungesser dont elle se sent responsable et pour lequel elle a tenté d’organiser une mission de sauvetage sans succès. Consuella et Alfred de Sides (114) retrouvent Meher Baba à Cannes en septembre 1937, comme on peut les voir en photographie sur le perron de la villa Capo di Monte (115), une des trois villas que le gourou a louées (116) pour loger sa famille. Consuelo est vêtue d’un sari quand Alfredo Sides, visage épaissi, pantalon à pinces et sandalettes aux pieds, reçoit l’accolade du gourou. Sur une autre photo, toujours en sari, amaigrie et visage émacié, devant une fenêtre ornée d’un rideau à fleurs, Consuelo boit le thé avec Meher Baba et semble attentive à ses messages spirituels tels que : « La spiritualité est aussi normale et naturelle que ce fauteuil où vous êtes assis. Vous n’avez pas besoin de jeûne. Seul l’amour est important. Aimez-moi(117). »

Consuelo et Meher Baba  devant un thé à Cannes

(Archives Meher Baba/Archives RN)

 
Quelques photos donnent l’idée de l’intérieur de la villa cannoise, louée à Mme Andrée Aron, une amie du couple Sidès. Elle est aussi vêtue d’un sari, assise avec la famille de Meher Baba qui pose dans le salon. Au mur blanc cassé du grand salon est accrochée une gravure apparemment hollandaise de paysage aux grands arbres, une potiche chinoise d’exportation et une horloge à chinoiserie sous son globe de verre sont disposées sur le marbre de la cheminée, un paravent chinois au fond, une liseuse et un siège crapaud sont recouverts d’un tissu à fleurs, devant une vitrine galbée qui montre le bon goût simple d’un intérieur néo-classique sans aucune excentricité moderne (118). Le 17 août, Alfredo et Consuelo Sidès arrivent à Cannes. Le 22 août, Alfredo discute avec Meher Baba d’un projet de films courts-métrages consacrés à la spiritualité. Le 1er septembre, ils rentrent à Paris. Parmi les visiteurs de Baba, Beatrice Wanger, la « Nadja », la danseuse américaine du Théâtre Esotérique (Paris 16e), Marie Clews, veuve du sculpteur Henry Clews et propriétaire du Château de La Napoule à Mandelieu-la-Napoule. Cependant, le séjour cannois est décrit par la presse régionale comme une escroquerie conduite par « un astucieux Baba, prince hindou et aigrefin d’envergure (119) ». 

Beatrice Wanger et Berengère dansant.

 
Le 20 septembre 1937, Consuelo et Alfred Sidès accueillent Baba et sa famille pour deux jours à Paris, 1 rue Gît-le-Cœur (120). Baba est malade après avoir visité la Tour Eiffel où il a, tout en haut, « tenu une réunion avec ses agents et d’autres Maîtres spirituels (121) ». La rencontre avec Alfredo et Consuelo Sidès semble s’être faite à l’invitation de Ganna Walska (122) , la diva américano-polonaise, propriétaire du Théâtre des Champs-Élysées de 1923 à 1970, qui reçoit Baba dans son château de Galluis près de Montfort-l’Amaury le 8 novembre 1936, comme en témoigne une photographie où ils sont tous réunis. Baba est accueilli à Paris par les  chanteuses d’opéra Ruano Bogislav et Maria Carmi (Norina Matchabelli). Si Ganna Walska continue de chanter et de se produire avec Alfred Cortot dans les années 1930, en particulier en France, elle devient, comme Maria Carmi, une créatrice réputée de parfums et de mode.

Sidès à gauche manteau sur l'épaule,  Meher Baba et Consuelo à sa droite au Chateau de Galluis *

La visite du 1 rue Gît-le-Cœur(123), bâtiment du XVIIe siècle et reste partiel d’un ancien couvent des Augustins restructuré au long des siècles, confirme les choix classiques affichés par Sidès. Espace étroit, appartements en duplex, escalier massif et rustique (124). Loin de l’image du danseur de salon des Années folles qui fréquentait le salon des Stettheimer à New York, où Fredo Sidès a laissé le souvenir d’un excellent danseur comme le décrit Marcel Duchamp à Florine Stettheimer (125) , et que l’on imagine tels ceux présentés dans le film Le P’tit Parigot de René Le Somptier en 1929, avec les décors et costumes de Sonia Delaunay, dans la fameuse scène où Lizica Codreanu (126) fait la danse de la Tour Eiffel !

Lizica Codreanu en costume de Tour Eiffel par Sonia Delaunay

Scène de danse du Petit Parigot (1926)
 
Décors de Mallet Stevens et Robert & Sonia Delaunay


En 1938, Consuelo part en Inde, accompagnée de Mercedes de Acosta qui raconte leur voyage depuis Gènes, où Fredo Sides les a accompagnées au port, dans son roman autobiographique Here Lies the Heart (ci-gît le cœur) : « La femme d’Alfredo Sidès voyagea avec moi pour l’Inde. Elle souhaitait rester plusieurs années avec Sri Meher Baba, mais Alfredo, quand il vint nous voir partir pour Gênes, me dit : “Ne laissez pas Consuelo faire quelques bêtises et, s’il vous plaît, faites attention à elle.” Ce n’est pas avant que Consuelo épouse l’immariable Alfredo que nous sommes devenues amies. Je ne comprendrai jamais ce qui a provoqué ce mariage soudain (...) Il en était incapable et n’était certainement pas un mari pour Consuelo (127). » Au début 1939, après un périple en Inde, Consuelo qui s’est séparée de Mercedes à Bombay, revient en Europe (128).

Le beau-père fume le cigare (Georges Melchior)
Un homme a la silhouette de Sidès parmi les femmes en robe Delaunay.



Mercedes de Acosta explique également le caractère de Fredo Sidès par une homosexualité (refoulée ?) et un goût pour les femmes lesbiennes : « Alfredo avait un préjugé fantastique en faveur des femmes et pendant toute sa vie il est resté constant là-dessus. Je ne l’ai jamais vu faible ou faire un compromis à aucun homme. À Paris, dans son appartement renommé de la rue Gît-le-Cœur, surplombant la Seine avec une vue sur Notre-Dame, Il n’invitait jamais un homme – s’il pouvait le faire. Quelques fois il était obligé d’inviter le mari avec la femme. Si cette “infortune” arrivait, et c’était le mot qu’il utilisait, il est probable qu’il fasse des grimaces dans le dos de l’importun. À New York, où il était souvent invité à des
soirées mondaines données par des sociétés de femmes, il refusait de rester attablé pour le café avec les hommes. Il suivait les femmes dans la pièce suivante, le plus souvent observant à l’instant : “Quelle bénédiction d’être débarrassé de ces terribles mâles et de leurs gros cigares.” Il détestait quiconque fumait et ne fumait pas lui-même. À l’exception du vin, il ne buvait pas. Une fois, avant une manifestation de suffragettes, il écrivit à l’organisation de l’autoriser à afficher une bannière avec l’inscription “Je suis pour tuer tous les hommes et laisser les femmes gouverner le monde.” Autant dire que le mâle moyen n’aimait pas Alfredo, bien qu’il en amusât certains. Il se moquait si un homme ne l’appréciait pas. Il prenait cela pour un compliment. Il disait : “Les hommes ont si peu d’intuition, ils sont sûrs d’aimer ou de détester les mauvaises personnes.” Si les hommes ne l’aimaient pas, il avait suffisamment d’amies femmes dans sa vie pour compenser leurs absences. Il était entouré de femmes, écoutant leurs problèmes, consolant, encourageant, les adorant et les flattant(129). » Ce témoignage de la militante féministe Mercedes de Acosta fait sourire quand on lit les amitiés, l’entregent, les réunions d’anciens combattants de la première guerre mondiale, les comptes-rendus des réunions des Réalités Nouvelles chez les Delaunay, la préparation des Salons des Réalités Nouvelles après-guerre, et l’attitude de Sidès pendant la guerre en France.
Cependant, Meher Baba connaît un succès considérable dans le monde anglo-saxon, et en particulier à Hollywood, donnant une façade à une vie homosexuelle tranquille, expliquant les amours malheureuses, successives hétérosexuelles ou homosexuelles comme des avatars, des réincarnations d’amours anciennes (130). Selon des témoignages, seuls les amis de Baba pouvaient venir vivre rue Gît-le-Cœur qui est depuis, et reste à ce jour, un lieu de pèlerinage pour ses admirateurs. Mais était-ce vraiment lié à l’homosexualité ? L’amour est libre depuis la Révolution française et, de plus, à la même époque on connaît le succès du salon littéraire lesbien de Natalie Clifford Barney, le « Temple de l’Amour » situé 20 rue Jacob, à deux pas de la rue Gît-le-Cœur. Consuelo Sidès reste fidèle à Meher Baba ou en tout cas à l’hindouisme puisqu’elle rédige, à New York en 1954, les mémoires du sociologue et diplomate français Paul Richard qui avait été en poste en Inde (131). Il ne nous étonne pas de voir apparaître les noms du couple Sidès dans le Goetheanum (132) de l’anthroposophie de Steiner en 1936, goût pour un mysticisme prononcé qu’ils ont en commun avec Albert Gleizes et l’avant-garde des années Trente, de  Mondrian à Kandinsky, artistes qui recherchaient dans l’art une forme spirituelle de théosophie et de syncrétisme religieux.



Fredo et Consuelo Sidès encadre Meher Baba*

Notes

112 - Meher Baba (1894-1969), mystique et gourou indien issu d’une famille perse-indienne zoroastriste.
113 - « Shri Meher Baba, qui respecte depuis huit ans le vœu de silence absolu » in Paris-Midi, le 8 octobre 1933, p. 2.
114 - Suivant les archives de l’association des amis de Meher Baba en ligne, qui les appellent « Consuella et Alfred de Sidès of Paris », ibid note 130.
115 - Villa construite en 1880 pour la famille lyonnaise Dognin, mise en location par Mme Andrée Aron et occupée l’année suivante par le photographe Jacques-Henri Lartigue et sa famille. Les deux villas ont été détruites depuis.
116 - L’autre étant la villa Caldana où logeaient les femmes mandali.
117 - Phrase que Meher Baba aurait prononcé par gestes au peintre et graveur Roger Vieillard (1907-1989), avant de bénir son union avec Anita sa femme, ibid note 36.118 - Les photographies du séjour de Meher Baba peuvent être vues sur le site des archives meherbaba.org.
119 - In Henry Barby, Le Journal, « Qu’est devenu l’astucieux Baba prince hindou, fondateur de religion... et sans doute aigrefin d’envergure », le 12 novembre 1937, p. 3.
120 - Roger Vieillard grave une vue du 1 rue Gît-le-Cœur.
121- Ibid note 36.
122 - Ganna Walska (1887-1984), diva excentrique, soprano médiocre dont le quatrième mari lui offre le théâtre des Champs-Élysées en 1923. Théâtre dont elle paiera les déficits jusqu’en 1970. Elle inspire le personnage de Susan, la seconde épouse de Charles Foster Kane dans le film Citizen Kane d’Orson Welles en 1941.
123 - Rue parisienne du 6e arrondissement portant le nom du cuisinier du roi Eudes, Gilles Queux.
124 - Les copropriétaires interdisent de décrire ou de prendre en photos les lieux, pour leur tranquillité.
125 - Lettre de Buenos Aires à Florine Stettheimer de 1919, ibid note 44, p. 75-76.
126 - Lizica Codreanu (1901-1993), danseuse roumaine, amie de Constantin Brancusi, qui participe également à l’introduction de l’hatha-yoga en France.
127 - Ibid note 37, p. 72 et p. 282.
128 - Ibid note 37, p. 298.
129 - Ibid note 37, pp. 98–99.
130 - Voir le site de Trustmeher.org sur le sujet !
131 - Paul Richard, Without Passport: The Life and Work of Paul Richard, Peter Lang Publishing Inc, 1987, cité in Sachidananda Mohanty, Cosmopolitan Modernity in 20th Century India, Routledge India, 2018.
132 - In Das Goetheanum, vol. 15 à 18, 1936, p. 332.

(* Toutes les photographies proviennent des archives des amis de Meher Baba. RN/Imec)

@ Erik Levesque, Article Alfredo Sidès, une esquisse biographique, L'accueil de Meher Baba(5/9) septembre 2022.

à suivre...