Collections numériques
Si nous avons toujours été façonnés par des connaissances forgées
ensemble, avec nos prochains, si nos productions ont toujours reflété un
« talent individuel » marqué par des conventions et traditions
partagées, les nouveaux acteurs des réseaux informatiques nous précipitent vers
un tout autre type de partage et de collaboration.
Depuis déjà longtemps nous baignons dans une culture de masse
avec accès à l’histoire de l’art…du monde… à portée de main. Par contre, les
représentations que nous, artistes, stockons dans le cloud aujourd’hui, sont
traquées, soumises à des tris et des analyses. Nous sommes regardés : en
tant que consommateurs de culture, mais aussi comme producteurs de contenus.
Nos techniques, nos partis pris, nos processus de création sont l'objet d'un
nouveau type de profilage. Il s’agit d’un
« big-data à but artistique ».
Cela nourrit une autre intelligence collective, tentaculaire,
façonnée par des algorithmes informatiques de plus en plus autonomes.
Changeons d’échelle pour considérer la genèse d’une œuvre numérique « combinatoire ».
Elle repose en partie sur l’écriture d’instructions codées et le choix de
médias qui alimentent une base de données. Nous passons des heures à jauger le
bien-fondé de ce qui se construit à l’écran. On ajuste les données pour que le résultat
bascule plutôt dans un sens ou un autre… Le montage ici est une question de
dosage, déterminé sous hypnose, dans un état second d'aller-retour dont nous
peinons à déterminer la fin.
Le travail de l’artiste muni d’un pinceau est aussi un jeu
d’ajustements entre gestes et regards. Par contre, l’équilibrage entre les propositions du
dispositif numérique et les attentes de l’artiste est négocié.
A l’échelle de l’Internet, cette négociation révèle les rouages de
décisions et procédés esthétiques jusqu’à présent considérées comme
« intuitifs ». Nourris par le « sampling » de tous
nos efforts, nos outils deviennent capables de créer, de manière
quasi-autonome, des œuvres susceptibles de nous échapper… et de nous plaire.
Il s’agit de l’émergence d’un nouvel actant de l’histoire de l’art, qui participera
à l‘arbitrage de partis-pris esthétiques.
Nouveau « collectif » ? Et alors ?
Carol-Ann BRAUN, avec un clin d’œil reconnaissant à Alain Longuet.
Paris, 2019