Depuis la publication en octobre 2022, des mises à jour (17/07/2024) avec de nouvelles informations sont sur :
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6 - L’exposition « Réalités Nouvelles » de 1939
C’est avec le critique musicaliste Yvanhoé Rambosson que Fredo Sidès organise la première exposition des Réalités Nouvelles en 1939, sous la férule de Robert et Sonia Delaunay à la Galerie Charpentier, 76 rue du Faubourg Saint-Honoré, Paris 8e. Comme le démontre dans sa thèse Domitille d’Orgeval (133), il est effectivement attesté que Frédo Sidès était un participant assidu des séances que Robert Delaunay avait pris l’habitude d’organiser dans son atelier tous les jeudis soir durant près d’un an (de novembre 1938 à la fin du mois de juillet 1939) pour initier les jeunes artistes à l’art abstrait. Celles-ci réunissaient de douze à vingt-cinq personnes, parmi lesquelles Albert Gleizes, Adolf Fleischmann, Daniel Baranoff-
Rossiné, Otto Freundlich, Étienne Béöthy, André Heurtaux, Misztrik De Monda ou bien encore Serge Poliakoff. Sonia Delaunay prit le soin de décrire ces séances à Hilla Rebay, son amie l’artiste allemande qui occupait depuis 1937 le poste de directrice du Guggenheim Museum of Non-Objective Painting : « Il y a un nombre de gens de tous âges qui viennent vers cet art en attendant d’avoir un endroit où ils pourraient venir pour se documenter et s’instruire, ils viennent chez nous une fois par semaine où Robert, Albert Gleizes et Rambosson leur donnent des indications pour le travail, l’un au point de vue métier, l’autre au point de vue métaphysique et le troisième, esthétique en général. C’est une préparation
très intéressante et très instructive (134). » On sait également que Robert Delaunay commentait à l’aide de projections photographiques ses travaux ainsi que ceux de Gleizes, Léger, Lhote, Matisse, Picasso, Braque, et qu’il proposait aux jeunes peintres des exercices dont le jeune Serge Poliakoff a gardé le souvenir : « Une recherche pas très intellectuelle, c’est ce qui nous libérait. Par exemple, chaque vendredi, nous apportions chacun une petite gouache, sur le même thème. C’était très intéressant. Il disait : “Faites trois cercles dans un cercle”, un peu comme un arc-en-ciel à trois couleurs, par exemple rouge, noir, bleu, et nous faisions ce qu’il avait demandé. Mais une fois que tout était fixé au mur, je me suis aperçu à quel point nous étions – même si le format était le même – tous différents(135). »
Yvanhoé Rambosson (1872-1943) est un conservateur honoraire du musée du Petit Palais à Paris, poète et critique d’art nationaliste, passionné de musicalisme et d’Art déco. Il est le secrétaire de l’association de la fameuse Exposition Internationale des arts décoratifs de 1925. Il introduit par « GLOSE » l’exposition « Réalités Nouvelles » comme celle d’un art né en réaction à l’impressionnisme et à la photographie qu’il explique ainsi : « Les artistes sentirent le besoin d’échapper à l’emprise du spectacle quotidien et de chercher en eux-mêmes autre chose qui ne fut pas à la merci de l’objectif. » Il ajoute : « Pendant que le cubisme continuait son évolution, un autre art prenait naissance, un art qui n’utilisait que les lignes et des couleurs au service de l’imagination et du dynamisme du créateur (...) C’est cet art-là et de son développement que nous voulons offrir au public une sorte de rétrospective. Ce sont, comme le disait en 1912 Guillaume Apollinaire (136), des "Réalités Nouvelles” puisqu’elles sont, autant qu’il est possible, en dehors des aspects du monde. »
L’exposition se composait de deux expositions successives, chacune scindée en deux séries. Première exposition et première série du 15 au 28 juin, « Œuvres des artistes français », avec la participation des frères Duchamp et du couple Delaunay. La seconde série du 30 juin au 15 juillet était consacrée « aux artistes étrangers » dont Kandinsky, Kupka, Malevitch, etc. accompagnée du projet de Le Corbusier et Jeanneret pour un musée d’art moderne. La deuxième exposition, du 17 au 31 juillet, était consacrée aux « œuvres des artistes dont la tendance inobjective s’est volontairement arrêtée avant 1920 » et des « œuvres des artistes après 1920 » dont Barbara Hepworth, Jeanne Kosnick-Kloss, Sophie Taeuber-Arp... La suite, constituée d’artistes « ayant travaillé après 1920 dans ce sens », devait avoir lieu le 1er octobre. La déclaration de guerre le 1er septembre en fit long feu. Pour la description précise des enjeux esthétiques, conflits d’égos et d’artistes, nous renvoyons à la thèse de Domitille d’Orgeval sur les origines du Salon des Réalités Nouvelles (137).
Notons cependant que l’association « Renaissance Plastique », organisatrice de l’exposition « Réalités Nouvelles », est logée 1 rue Git-le-Cœur, chez Sidès.
Le dossier Kandinsky Archives RN |
Chaque artiste doit renvoyer à Sidès une fiche d’identité biographique, répondant aux questions suivantes, après les indications d’usage, nom, prénom, date et lieu de naissance, nationalité :
2 – Modalités des études artistiques et influences prépondérantes.
3 – Dans quelle exposition avez-vous pour la première fois exposé un tableau n’ayant aucun
rapport avec la vision directe de la nature (donner si possible la page du catalogue et le
libellé des œuvres exposées).
4 – Détails biographiques aussi complets que possible en collections privées qui contiennent
vos œuvres, n’oubliant pas de mentionner avec la date de vos diverses expositions
particulières ainsi que les musées et les collections privées qui contiennent de vos œuvres.
5 – Quelles sont les études parues dans les journaux ou revues ou dans les livres qui
mentionnèrent vos efforts, titres, dates et quelques extraits caractéristiques, si possible, du
début jusqu’à aujourd’hui.
6 – Quelles œuvres avez-vous exécuté en dehors du mouvement inobjectif (importance et
date).
7 – Dans quel sens, selon vous, doit évoluer la peinture contemporaine ?
On ne résiste pas au plaisir de retranscrire la réponse de Marcel Duchamp (138), l’ami de 20
ans, né le 28 juillet 1887 à Blainville de nationalité française, aux questions 4 et 7 :
4 – Collections Arensberg, Drier, P. Roché.
7 – (Sens) Interdit.
Le 15 juillet 1939, Hilla Rebay, directrice du Guggenheim Museum of Non-Objective Painting
depuis 1937, est à Paris. Elle dîne chez René Gimpel qui la nomme dans son journal par son titre nobiliaire allemand « la baronne de Rebay » : « Le goût de cet apôtre du cubisme est des plus abracadabrant. Elle a acheté des centaines de Bauer par envoûtement sexuel. (...) C’est la Catherine II de cette école. (...) Quelle soirée ! Je dois parler au bénéfice de chacun, pour Gleizes, pour Sidès qui expose les non objectifs et désire être aidé par la fondation Guggenheim (139). » Sidès n’a alors pas ses entrées chez les Guggenheim, et n’est pas défendu par Peggy Guggenheim.
Notes
133 - Voir la thèse de Domitille d’Orgeval, Le salon des Réalités
Nouvelles, les années décisives : de ses origines (1939) à son avènement
(1946-1948), sous la direction de Serge Lemoine, 2007, Paris- Sorbonne,
p. 43.
134 - Georges Bernier et Monique Schneider-Maunoury, dans
leur biographie consacrée à Sonia et Robert Delaunay, écrivent au sujet
de ces réunions : « Une soixantaine de personnes au total prenait part à
ces réunions séances d’une façon plus ou moins régulière. Il y avait là des critiques comme Yvanhoé Rambosson et Gilles de la
Tourette, des animateurs du mouvement abstrait comme Frédo Sidès et des
collectionneurs comme Jean Coutrot. » In Robert et Sonia Delaunay, Naissance de l’art abstrait, Jean-Claude Lattès, Paris, 1995, p. 240.
135 - Lettre de Sonia Delaunay à Hilla Rebay datée du 24 novembre 1938, dossier Sonia Delaunay, Hilla Rebay, Foundation, Guggenheim Museum, New York.
136 - La citation est apparemment apocryphe. En effet chez Apollinaire on trouve le vers « Peinture pure, réalité. » dans l’article consacré à Robert Delaunay dans Der Sturm, en 1912. Mais on retrouve la notion de l’art comme réalité nouvelle chez de nombreux auteurs symbolistes et chez Marcel Proust dans À la recherche du temps perdu où il consacre un long dithyrambe à la nécessité de la reconstruction de l’art pour saisir la réalité et sortir de celle-ci, in Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, Le temps retrouvé, Pléiade TIII, Gallimard,
Paris, 1954, éd. 1983, pp. 895-925.
137 - Ibid note 133, op. cité.
138 - Dossier Exposition Réalités Nouvelles 1939, fiche Renaissance Plastique Marcel Duchamp, Archives RN/IMEC.
139 - Ibid note 70, p. 715.
@ Erik Levesque, Article Alfredo Sidès, une esquisse biographique, 1939 - Réalités Nouvelles (6/9) septembre 2022.
La suite ... après le salon !