lundi 26 septembre 2022

ALFREDO SIDES - II - Une figure parisienne des Années Folles auprès d’Isadora Duncan.

Anna Duncan dansant Abstract/Medium- source Wikipedia

Episode 2 - Une figure parisienne des Années Folles proche d’Isadora Duncan

À Paris, Henri-Pierre Roché (41) le retrouve à l’entracte de L’Homme et son désir de Paul Claudel et Darius Milhaud, au théâtre des Champs-Élysées, entouré de Louise Norton, de Braque qui vient de boxer Léonce Rosenberg, Derain, les Gleizes et Guitton, la cousine de Picabia(42). Alfredo Sidès apparaît dans la presse comme une figure dandy et mondaine du théâtre parisien, il est régulièrement cité par le journal Cœmedia, présent aux premières des spectacles du Tout-Paris des Années folles. Même si Marcel Duchamp, dans sa correspondance avec Ettie Stettheimer(43), explique qu’ils ne se voient pas (à Paris), bien que Sidès soit présent (44). 

De retour aux États-Unis, il achète à New York le 16 janvier 1923, pour 2900 dollars, un marbre de Rodin, La Méditation, à la succession Colt qu’il met en vente chez René Gimpel(45) à Paris (46). Selon Irma Duncan, la nièce d’Isadora Duncan, Freddo Sidès, qu’elle rencontre à New York, est employé (47) de la compagnie Alavoine et Cie Paris et New York, 9 rue Caumartin, Paris 9e. Associée à Joseph Duveen (beau-frère de René Gimpel), cette compagnie décore aussi bien dans le style Art déco que dans le style français du XVIIIe siècle en tapis, meubles et objets d’art, tant les appartements new-yorkais que le paquebot Normandie, travaillant avec la collaboration de Jeanne Lanvin et d’Armand-Albert Rateau. Lucien Alavoine et Cie ouvre une succursale à New York en 1893 avec le décorateur Allard. Parmi les réalisations célèbres, le Plaza Hotel en 1907, Marble House en 1892, The Breakers en 1895 ainsi qu’à Newport, de nombreux manoirs dessinés par l’architecte Richard Morris Hunt (1827-1895)(48). Si la compagnie Alavoine a une activité d’antiquaire, elle fait réaliser et vend également des copies de meubles XVIIIe que l’on trouve régulièrement dans des collections(49) ou en salle des ventes(50). Comme l’annonce un encart de 1936 dans Art News : « L.Alavoine &Co, décorations intérieures, mobilier, tapisseries et objets d’art (51). »
Selon Mercedes de Acosta, Sidès, qui fut le témoin de son mariage, organise des soirées mémorables dans son appartement du quai des Grands-Augustins avec la fameuse « génération perdue » des écrivains américains avec l’actrice Eva Le Gallienne et Zelda et Scott Fitzgerald(52). Il apparaît proche des danseuses Loïe Fuller, Ruth Saint Denis et Isadora Duncan pour laquelle il organise l’achat d’une maison à Neuilly (53) afin qu’elle puisse créer son école de danse, avec l’entremise du couturier Paul Poiret. En 1926, « l’Italien » Fredo Sidès rachète « le Temple de la Danse » d’Isadora Duncan, le sauvant de la faillite (54) : il organise une souscription et verse 50000 francs pour bloquer la vente, alors que Bourdelle lui offre sa célèbre Bacchante(55). Sidès a la réputation alors d'avoir été l'ancien amant éconduit de la danseuse.

Le Chicago Tribune and Daily News, New York, dans son édition parisienne du 11 mars 1927, remarque la présence de Fredo Sidès à la réception donnée par Mme Lottie Yorska en l’honneur d’Isadora Duncan dans son appartement du 126 boulevard du Montparnasse – parmi les invités, Miss Janet Flanner du New Yorker, Miss Margaret C. Anderson fondatrice de The Little Review, le peintre Laurence Vail et madame ainsi que Louise Janin – alors que lui-même organise un dîner dans son petit appartement du quai des Grands-Augustins le 19 mars (56). Au même moment, monsieur Alfredo Sidès, secrétaire du comité de soutien d’Isadora Duncan est reçu par le ministre des Beaux-Arts Édouard Herriot, qui apporte tout son soutien au projet d’école gratuite de la danse promue par la danseuse (57). La campagne de soutien à Isadora Duncan à son projet d’école est largement relayée par la presse artistique. 
Alfredo Sidès est fait chevalier de la Légion d’honneur le 20 août 1927 pour service rendu (58).
Après le décès accidentel d’Isadora Duncan, il accompagne le cortège funéraire à travers Paris vers le Père-Lachaise avec Mercedes de Acosta, Eva Le Gallienne (59), Marcel Herrand derrière Raymond Duncan et ses élèves « vêtus en péplum et sandalettes (60) » à l’antique, puis assiste à son incinération au cimetière du Père-Lachaise, où ses cendres reposent toujours au columbarium aujourd’hui. 

Jacques Coutant, dans La Liberté du 16 septembre 1927, décrit la veillée funèbre de Fredo Sidès : « Le plus cher ami d’Isadora, le plus fervent, le plus sensible, lui qui avait eu la délicate idée de former un comité pour racheter pour la danseuse son ancienne maison de Neuilly, ce temple de la danse qui renfermait tous les souvenirs de sa vie. Fredo Sidès parle de la “déesse” : – Avant d’être l’admirable artiste, celle qui a libéré la danse et créé l’orchestre du rythme, Isadora a été une mère. La disparition de ses enfants a été le malheur et le génie de sa vie. À chaque fois qu’elle a atteint cette sublimité dans l’immatériel, elle évoquait l’image de ses enfants chéris. Quand elle a dansé l’Ave Maria de Schubert, à la dernière représentation donnée au théâtre Mogador, le souvenir morbide qui la hantait était la continuation de son art. Frise vivante. Je ne veux pas faire, disait-t-elle, des élèves ; je veux faire l’orchestre et la danse. C’était là son dernier désir. Isadora a gardé la foi dans ce qu’elle a fait. La mort était son amie. Elle ne la redoutait pas. Elle me rendra mes petits, disait-elle. Dans la chambre, le jour se fait plus gris, les voix plus basses. Un grand souffle d’art est passé. Il y a un peu moins de lumière dans le monde. Trois hommes courbent la tête et pleurent (61). » 

Notes :

41- Henri-Pierre Roché, poète français et marchand d’art (1879-1959), libertin adepte du triolisme comme forme de vie et apologie de l’art. Présent à New York en 1917, ami de Beatrice Wood, Marcel Duchamp, Francis Picabia. Ses trouples, ou couples à trois, avec Marie Laurencin et Otto von Wätjen, puis Helen Grund et Franz Hessel sont restés célèbres. On lui doit les romans autobiographiques Jules et Jim et Deux Anglaises et le continent, adaptés au cinéma par François Truffaut.
42 -- In Henri-Pierre Roché, Carnets, les années Jules et Jim (1920-1921), éd. André Dimanche, 1990, p. 267.
43 - Henrietta Walter « Ettie » Stettheimer (1875-1955), écrivaine, sœur de la peintre et poète Florine
Stettheimer (1871-1944).
44 -  Lettres des 6 juillet et 1er septembre 1921, in Hector Obalk (dir.), Marcel Duchamp, Affectionately, Marcel: The Selected Correspondence of Marcel Duchamp, éd. Ludion Press, 2000, Gent, Belgique, pp. 99-101.
45 - René Gimpel (1881-1945) est un marchand d’art parisien, associé à Nathan Wildenstein, spécialiste du XVIIIe siècle. Réfugié à Cannes, pendant la Seconde Guerre mondiale, il organise un réseau de résistance avec ses fils, Jeanine Picabia et Jean Moulin. Arrêté par Vichy et interné, il est relâché fin 1942. En 1944, il est dénoncé à Lyon par l’antiquaire Jean-François Lefranc (1890-1950) aux Allemands. Il meurt d’épuisement au camp de concentration de Neuengamme le 3 janvier 1945. Ses enfants ouvrent la galerie René Gimpel & Sons à Londres en 1946.
46 - Voir fiche d’inventaire, Auguste Rodin, La Méditation avec bras, Meadows Museum, SMU, Dallas. Elizabeth Meadows Sculpture Collection, inv. n° MM 69.06.
47 -  Irma Duncan nomme Fredo Sidès, Freddo, Alfredo ou Alfred ! In Irma Duncan, Duncan Dancer: An Autobiography, éd. Wesleyan University Press, 1966, p. 181.
48 - James T. Maher, The Twilight of Splendor: Chronicles of the Age of American Palaces, éd. Little Brown & Co, Boston, 1975, 453 p.
49 - Par exemple, en 1932 dans la vente de la collection Mrs Chauncey Blair et Bartow Farr, on trouve provenant de chez Alavoine & Co : « Un reliquaire du XVIe siècle (lot 491), un siège régence début XVIIIe (lot 117), un fauteuil directoire courbé et peint, français, fin XVIIIe (lot 186), une paire de chenets (lot 170) et une table à téléphone en marqueterie de style Louis XVI (faite sur ordre par Alavoine & Co) (lot 176) », in A Collection of Exceptional Variety and Quality: English and Continental Furniture, American Art Association, NY, 1932, p. 28.
50 - Voir la vente de chaises Louis XVI, Alavoine & Co, Christie’s, 2011.
51 - The Art News, vol. 35, ISS. 7, November 14 th, 1936, pp. 5-10.
52 - À l’occasion de la représentation de sa pièce Jeanne d’Arc au Théâtre de la Porte Saint-Martin en 1925.
53 - « Freddo send me two sets for the Opera to see the Sakharoffs danse. » In Irma Duncan, Duncan Dancer: An Autobiography, éd. Wesleyan University Press, 1966, p. 181.
54 - In « Le temple de la danse est provisoirement sauvé », Le Quotidien, 6 décembre 1926.
55 - In « Isadora Duncan, Home Rebought, Neuilly House to become Temple of Dance », Daily News, New York, 18th February, 1927, European Edition, p. 7.
56 - In The Chicago Tribune and The Daily News, New York (European edition), Paris, March 11th et 19th, 1927.
57 - In Comœdia, les 27 février et 20 mars 1927.
58 - In Le Figaro, le 20 août 1927, p.2.
59 - L’actrice Eva Le Gallienne est Jeanne d’Arc dans une pièce de Mercedes de Acosta, au Théâtre de la Porte Saint-Martin à Paris le 25 juin 1925 dans un décor de Bel Geddes. In Bernhard Russel Works, Norman Bel Geddes: Man of Ideas, Wisconsin University Press, 1966, p. 224.
60 - In Comœdia, le 20 septembre 1927.
61 -  In La Liberté, 16 septembre 1927. 

@ Erik Levesque, Article Alfredo Sidès, une esquisse biographique, Une figure parisienne des Années Folles proche d'Isidora Duncan (2/9) septembre 2022.

à suivre...