Le jardin infini acrylique sur toile, 160 x160 cm 2014 |
Le jury du Fonds de Dotation Piza a
décerné à l’unanimité le Prix Arthur Piza pour l’année 2016 au peintre Sophie
Lambert. Ce prix a été créé en 2012 pour favoriser les échanges culturels entre
la France et le Brésil et chaque année alternativement un artiste (peintre,
sculpteur, graveur, ou vidéaste) français ou brésilien est récompensé par une résidence
au Brésil ou en France.
Sophie Lambert est née le 1er juin 1968 dans une famille
française originaire des Pays-Bas et du Venezuela. Elle noue avec sa grand-mère,
Elena Delgado-Chalbaud, (la soeur du président Carlos Delgado-Chalbaud
assassiné en 1950), une relation privilégiée qui l’aidera à se construire et
qui aujourd’hui encore influence sa création. Ce Venezuela où elle n’est
pourtant encore jamais allée, est devenu sa terre mythique, et elle en peint
sans relâche les exultations, les drames et les fêtes. Elle part en Italie à 18
ans et reste à Sienne pendant un an. A son retour à Paris, elle entreprend des
études de droit qu’elle abandonne rapidement pour se consacrer à la peinture et
suit les cours de l’Ecole d’Art Van der Kelen de Bruxelles qui lui donnera l’enseignement
technique indispensable. Puis en 1992 elle part s’installer à Séville où elle
vit de décors de scène et entreprend une démarche artistique personnelle. Elle
y restera six années. De retour à Paris, elle suit pendant deux ans l’enseignement des Ateliers des
Beaux-Arts.
Des compositions abstraites naissent alors, peintes à l’huile,
classiques dans leur traitement mais privilégiant ce qui restera une constante
dans son travail : l’intensité des couleurs et la plénitude des formes. Bientôt
apparaissent des lianes dont l’aspect luisant, mouillé, évoquent on ne sait
quelles viscères, mais dont les couleurs vives s’enroulent et se déroulent dans
un univers majestueux encore abstrait où l’oeil retrouve instinctivement les
profondeurs d’une jungle inconnue. Est-ce la figuration d’une fantasmagorie
végétale ? Organique ? Le doute s’installe tandis que l’on est capté par ces
sensations nouvelles que procurent ces grandes toiles.
S’ensuivra une longue période de recherches où Sophie
Lambert brodera des dentelles sur ses toiles, s’absorbant dans ces coutures qui
grillageaient la peinture. Elle finira par détruire tous ces travaux et trouvera
une solution plastique par le truchement du pinceau; elle monte à présent ses
compositions à l’acrylique, puis retravaille toute la surface à l’huile,
achevant ses peintures minutieusement au pinceau fin. Sophie Lambert confie à
Teresa Lim, sa galeriste de Singapour : « J’ai parfois cousu mes tableaux, même
s’il s’agissait la plupart du temps de couture peintes, j’ai donné du temps à
chaque trait. J’aime cette idée d’être sur un tableau comme sur un métier à
tisser, sans prise sur le temps et dans l’oubli du monde. »
Née peu après le Sgt. Pepper’s, dans un monde désormais
bouleversé par cette vague psychédélique qui a propulsé la culture pop dans
tous les horizons, glorifié l’enfance, Disneyland, la bande dessinée, les
bonbons, les jouets, les jeux vidéo, et a poussé les grandes heures de couleurs
acidulées et brillantes à un point paroxysmique. Par petites touches sensibles,
sur les grandes compositions construites en force, elle utilise toutes les
découvertes des chimistes et fait vibrer la couleur par des touches acides, des
glacis, des ponctuations presque fluorescentes en contrepoint des pigments
traditionnels qui restent sous-jacents ou bien qu’elle vient rechercher en
creusant dans les couches de peinture.
Quelques portraits ou jardins voilés de dentelles peintes,
quelques architectures imaginaires peuplent alors l’atelier. « Je suis toujours
en train de chercher, j'essaie de ne pas m'installer dans le confort que
peuvent apporter en les réitérant certaines trouvailles, de tenter de multiples
approches, de rester dans l’incertitude et les ouvertures données par le doute.
»
A présent sa peinture est presque exclusivement figurative.
Nous sommes loin ici du chant de la terre et du bucolique. Le premier tableau
de cette voie est La Mouche, terminé en 2011. C’est une peinture carrée, de 160
x 160 cm, fantastique dans le sens premier du terme. Le fond est un noir d’ardoise
mat très légèrement nuancé de tons minéraux sur lequel viennent jouer des
filaments de couleurs vives qui s’enroulent et pendent, légèrement humides,
plutôt organiques, dans une végétation sombre qui se confond avec l’ardoise. Le
bas du tableau est occupé par une mouche géante, très réaliste, finement
exécutée, et des losanges bleu vif. Une impression vaguement cruelle se dégage
du tableau, comme si la mouche était une araignée et les filaments pendant
au-dessus d’elle en draperie les intestins d’une proie en train d’être digérée.
Ou bien la mouche est-elle la prochaine proie ? Cette ambiguïté est souvent
présente, y compris dans les tableaux aux sujets exclusivement végétaux.
Toujours inventées, fleurs et plantes ont une beauté qui est peut-être
vénéneuse. Le poison tente de se faire oublier par l’exubérance née dans ces
lumières subtiles, mais il est là, dans ces courants qui parcourent la toile,
dans ces mouvements de tourbillons sans vent. Nous retrouvons dans les œuvres
de Sophie Lambert la beauté et la force de la nature, son empoisonnement, le
drame imminent et-ou le crime caché, la force inexorable de la patience et l’infini du possible.
Virginie Duval, avril 2016
La mouche, acrylique sur toile, 160 x160 cm 2011 |