samedi 24 novembre 2012

Ch’ti Herbin ch'z Ch’ti Matiss' ch’z eux


La visite de l’exposition Auguste Herbin au Musée Matisse de Cateau Cambresis  semble nous poser la ch’ti question : 
      « l’August’ éti l’ kouzin m’connu d’ Sarg’nt Poavr’ ? »

Herbin, tour à tour cubiste, figuratif, abstrait, cheville ouvrière du Salon des Réalités Nouvelles ou bien figure autoritaire du manifeste du Salon des Réalités Nouvelles auquel s’opposent les peintres du Salon Felix del Marle, Hartung ou Soulages, entre autres... et encore "rebelle"  au Parti Communiste dont il refuse le diktat du réalisme socialiste en 1948. Herbin reste célèbre pour son alphabet plastique ou le A se dit : cercle triangle demi-cercle carré rose et dont la correspondance musicale signifie do ré mi fa sol la si ! Système linguistique de dénomination et de désignation avec lequel il compose les derniers tableaux de sa vie, système pour le moins rigide qui lui permet de présenter Sa Couleur Pure !

1er Invitation aux RN

Napoleon par Herbin 

Herbin (1882 -1960) est un grand peintre, c’est indéniable. Il invente sa couleur qui n’est jamais normée, en particulier des rouges profonds auxquels répondent des jaunes mordorés. Mais c¹est un sentiment trouble qui vous envahit pourtant à la visite de l’exposition rétrospective de son œuvre, une question presque lancinante : comment Auguste Herbin a-t-il pu renoncer à l’universalité de la langue de la peinture pour se soumettre au singularisme de la syntaxe française ? Jusqu’à en devenir, lui Herbin, l’inventeur de la faute  d’orthographe et du lapsus en peinture à travers son alphabet plastique ! On ne parle pas seulement des fautes de goût ; concevoir un tableau en rébus sur les noms Lénine, Staline, ou Napoléon. Assemblant les lettres transformées en cercle carré triangle qui disent : « Napoleon » ou « pal o Neon » ou « paol on Ne » (prononcer paille au nez) ? C’est  drôle ! Cela fonctionne comme un jeu d'enfant. Et qui d'ailleurs semble-t-il a été adapté au Venézuela pour apprendre à lire et qui sert de jeu pour l'atelier des enfants du musée !

Début de l'Alphabet Plastique d'Auguste Herbin


Que reste-t-il si l’on retire le système de l’alphabet plastique? 
La couleur pure, certes, mais encore...


D’un côté, Herbin apparaît comme le précurseur des conceptuels assujettissant l’image au verbe à la manière d’un Hans Haacke (RN1966), Herbin, Herbin, Herbin ...
Herbin en trois langues différentes...

Herbin traduit en Alphabet Plastique

Herbin devant sa table à dessin
photographié par Serge Vandervam
D’un autre coté son système sonne comme l’échec des théories des théosophies du philosophe Rudolf Steiner (1869-1925) issues de Goethe qu’Herbin prolonge. Rudolf Steiner dont le personnage éponyme se suicide devant ses Morandi dans « La Dolce Vita» de Fellini sous les yeux « de vache » de Mastroanni en 1960.1960 Herbin meurt après avoir peint et écrit le mot FIN sur sa dernière toile en noir et blanc.

On le sait peu, mais Herbin et Matisse sont paysEt si Matisse zozotait (il dit ZAZS), Herbin devait bien avoir un peu d’accent ch’ti, non ? Pourquoi n’a-t-il pas donné de titre en chtimi ? Ici "c’est le Nord !" . En 1956, Herbin y crée son musée (inclut aujourd’hui dans le Musée Matisse) en offrant 26 œuvres à sa ville natale et conçoit pour une école primaire un vitrail monumental : « Joie ». 
« Dors, min p'tit quinquin,

Min p'tit pouchin,
min gros rojin
Te m'f'ras du chagrin,
Si te ndors point
j'qu'à d'main. »

Né en 1882, Herbin passe son enfance au Cateau-Cambresis. Au départ son art évolue naturellement en fonction de son apprentissage scolaire, classique puis impressionniste. Proche de Wihlem Udhe (dont la femme n'est autre que Sonia Stern… la future Sonia Delaunay), c’est avec lui qu’il séjourne en Corse en 1907, il devient Cubiste mais avec des couleurs fauves et brutes et un étonnant violet d'outremer ! Son style est alors proche des milieux d’avant-gardes allemands de Berlin, bien qu’il refuse l'expressionnisme et la ligne brisée, proche de Macke, du Blaue Reiter et de la création du design, des théories naissantes des couleurs industrielles du Bauhaus. Son marchand Léonce Rosenberg en 1920 dans l'incapacité de vendre ses tableaux abstraits lui demande de peindre des tableaux figuratifs... Herbin s'exécute et peint une suite de toiles figuratives aux couleurs vives où se mélangent tous les styles alors en vogue... et toujours en vogue aujourd'hui !... Car on croit avoir la berlue et reconnaître un ancêtre de la culture pop, ici d’un David Hockney, là d’un Howard Hodgkins première période, ici un Kitaj, là Jasper Johns dernière période… des images aux couleurs lourdes et saturées sans profondeur, sans perspective ni linéaire, ni aérienne, des images faites de tensions planes !  En 1920, croyant en l'avènement d'un monde meilleur il s'inscrit au Parti Communiste proposant ses œuvres abstraites en relief qui se veulent des bornes mécaniques, des objets pour une nouvelle utopie sociale... nouvel échec… le Parti Communiste interdit l’abstraction « art bourgeois ». Et en 1931 il fonde avec Vantongerloo, Van Doesburg, Helion, Arp, Kupka le mouvement Abstraction-Création ! Les formes abstraites se font sinueuses, souples... les couleurs sont plus encore soutenues. C’est le moment le plus libre de l’exposition. C'est alors qu'il recherche et formule son langage universel " non-figuratif" et "non-objectif"... qu'il présente au Salon des Réalités Nouvelles en 1948. « non figuratif » le mot est clair, il signifie pas d'identification iconique ; « non objectif » renvoie non pas à l'objet mais à inobjectivité grammaticale de la langue. Reste alors selon Herbin la couleur pure. Ces pensées théoriques sont extrêmement proches de celle d'Hans Hoffman (RN 1951) à la même époque aux USA avec les concepts de « Pure couleur : forme plate en couleur non rompue » ou ceux de Josef Albers (RN 1951) « d’interactions colorées » !
On conçoit que la recherche absolue de l’abstraction ait conduit Herbin à renoncer au cercle, au carré, au triangle comme forme figure, parce que ce sont des objets figuratifs à identification iconique par nature. Un carré n’est pas abstrait en soi, c’est le sens que l’on lui donne qui en fait une abstraction. C’est seulement en donnant aux formes géométriques une syntaxe non objective qu’ils deviennent une abstraction et échappent ainsi à leur figuration ! Le code linguistique est une condition nécessaire de l’abstraction géométrique, et par là-même de toute abstraction comme l’a démontré le philosophe Gilles Deleuze dans son livre sur Francis Bacon.

 Camouflage de biplan - Herbin - 1917
En renonçant à tout codage et en jouant d'une couleur « étant donnée » par l'industrie (code Pantone par exemple : couleur qui n'existe pas chez Herbin où il n’y a jamais le fameux Orange 021), le pop art réalisera exactement le même programme avec des couleurs vives et saturées offrant une culture populaire universelle qu’illustre Lichtenstein, Warhol ou Hockney !

Toute sa vie Herbin a cherché, comme lui recommandait son ami August Macke (1887-1914), à créer un langage universel pour un art populaire. Auguste Herbin serait donc une figure paradoxale à la fois par sa recherche d'un langage universel, l'ancêtre du pop art, mais par son code syntaxique il en serait aussi le parfait contre-exemple.


Pendant la guerre de 14-18 Herbin était affecté au camouflage. On peut voir quelques dessins de camouflage d'avions, de biplans... on les croirait tout droit sortis d'un dessin animé des années 1960 de Georges Dunning ... et au sortir de l’exposition, on se prend à chercher le sous-marin jaune dans le ciel d'un Cateau-Cambrésis en pleine crise économique !



Dans l'exposition une salle est consacrée au Salon des Réalités Nouvelles et à l'action d'Herbin, avec archives et catalogues d'époque en vitrine. 
Le salon y apparaît alors comme une bande de coeurs solitaires du Sergent Herbin... !

Voilà aujourd'hui soixante ans
Que le peintre Herbin apprît au groupe
 à peindre
Ils sont plus ou moins à la mode
Mais avec eux, on est sûr de ne pas s'ennuyer.
Puis-je donc vous les présenter
Ceux que vous connaissez depuis toutes ces années …

La "Longue Marche" des Réalités Nouvelles
vu par Herbin

Une exposition à voir donc !

Erik Levesque

Le catalogue comprend entre autres les contributions de Geneviève Claisse, Céline Berchiche et Domitille d'Orgeval, archiviste des Réalités Nouvelles

Musée Matisse Le Cateau.
Train direct unique le dimanche depuis Paris Nord
Départ 10h36 
Arrivée 12h11
Retour 17 h46 
Arrivée 19h25