La visite de l’exposition Auguste Herbin au Musée Matisse de Cateau Cambresis semble nous poser la ch’ti question :
« l’August’ éti l’ kouzin m’connu d’ Sarg’nt Poavr’ ? »
Herbin, tour à tour
cubiste, figuratif, abstrait, cheville ouvrière du Salon des Réalités Nouvelles
ou bien figure autoritaire du manifeste du Salon des Réalités Nouvelles auquel
s’opposent les peintres du Salon Felix del Marle, Hartung ou Soulages, entre autres... et encore "rebelle" au Parti Communiste dont il refuse le diktat du réalisme
socialiste en 1948. Herbin reste célèbre pour son alphabet plastique ou le A se
dit : cercle triangle demi-cercle carré rose et dont la correspondance
musicale signifie do ré mi fa sol la si ! Système linguistique de dénomination et de désignation avec lequel il compose
les derniers tableaux de sa vie, système pour le moins rigide qui lui permet de
présenter Sa Couleur Pure !
Napoleon par Herbin |
Herbin (1882 -1960) est un grand peintre, c’est indéniable. Il invente sa couleur qui n’est jamais normée, en particulier des rouges profonds auxquels répondent des jaunes mordorés. Mais c¹est un sentiment trouble qui vous envahit pourtant à la visite de l’exposition rétrospective de son œuvre, une question presque lancinante : comment Auguste Herbin a-t-il pu renoncer à l’universalité de la langue de la peinture pour se soumettre au singularisme de la syntaxe française ? Jusqu’à en devenir, lui Herbin, l’inventeur de la faute d’orthographe et du lapsus en peinture à travers son alphabet plastique ! On ne parle pas seulement des fautes de goût ; concevoir un tableau en rébus sur les noms Lénine, Staline, ou Napoléon. Assemblant les lettres transformées en cercle carré triangle qui disent : « Napoleon » ou « pal o Neon » ou « paol on Ne » (prononcer paille au nez) ? C’est drôle ! Cela fonctionne comme un jeu d'enfant. Et qui d'ailleurs semble-t-il a été adapté au Venézuela pour apprendre à lire et qui sert de jeu pour l'atelier des enfants du musée !
Début de l'Alphabet Plastique d'Auguste Herbin |
Que reste-t-il si
l’on retire le système de l’alphabet plastique?
La couleur pure, certes, mais
encore...
D’un côté, Herbin apparaît
comme le précurseur des conceptuels assujettissant l’image au verbe à la
manière d’un Hans Haacke (RN1966), Herbin, Herbin, Herbin ...
Herbin en trois langues différentes... |
Herbin traduit en Alphabet Plastique |
Herbin devant sa table à dessin photographié par Serge Vandervam |
D’un autre coté son système sonne comme l’échec des théories des théosophies du philosophe Rudolf Steiner (1869-1925) issues de Goethe qu’Herbin prolonge. Rudolf Steiner dont le personnage éponyme se suicide devant ses Morandi dans « La Dolce Vita» de Fellini sous les yeux « de vache » de Mastroanni en 1960.1960 Herbin meurt après avoir peint et écrit le mot FIN sur sa dernière toile en noir et blanc.
On le sait peu, mais Herbin et Matisse sont pays. Et si Matisse zozotait (il dit ZAZS), Herbin devait bien avoir un peu d’accent ch’ti, non ? Pourquoi n’a-t-il pas donné de titre en chtimi ? Ici "c’est le Nord !" . En 1956, Herbin y crée son musée (inclut aujourd’hui dans le Musée Matisse) en offrant 26 œuvres à sa ville natale et conçoit pour une école primaire un vitrail monumental : « Joie ».
« Dors, min p'tit quinquin,
Min p'tit pouchin,
min gros roji n
Te m'f'ras du chagrin,
Si te ndors point
j'qu'à d'main. »
Né en 1882, Herbin passe
son enfance au Cateau-Cambresis. Au départ son art évolue naturellement en
fonction de son apprentissage scolaire, classique puis impressionniste. Proche
de Wihlem Udhe (dont la femme n'est autre que Sonia Stern… la future Sonia
Delaunay), c’est avec lui qu’il séjourne en Corse en 1907, il devient Cubiste
mais avec des couleurs fauves et brutes et un étonnant violet d'outremer ! Son
style est alors proche des milieux d’avant-gardes allemands de Berlin, bien
qu’il refuse l'expressionnisme et la ligne brisée, proche de Macke, du Blaue Reiter et de
la création du design, des théories naissantes des couleurs industrielles du Bauhaus.
Son marchand Léonce Rosenberg en 1920 dans l'incapacité de vendre ses tableaux
abstraits lui demande de peindre des tableaux figuratifs... Herbin
s'exécute et peint une suite de toiles figuratives aux couleurs vives où
se mélangent tous les styles alors en vogue... et toujours en vogue aujourd'hui !... Car on croit avoir la berlue et reconnaître un
ancêtre de la culture pop, ici d’un David Hockney, là d’un Howard Hodgkins
première période, ici un Kitaj, là Jasper Johns dernière période… des images
aux couleurs lourdes et saturées sans profondeur, sans perspective ni linéaire,
ni aérienne, des images faites de tensions planes ! En 1920, croyant en l'avènement d'un
monde meilleur il s'inscrit au Parti Communiste proposant ses œuvres abstraites
en relief qui se veulent des bornes mécaniques, des objets pour une nouvelle
utopie sociale... nouvel échec… le Parti Communiste interdit l’abstraction
« art bourgeois ». Et en 1931 il fonde avec Vantongerloo, Van
Doesburg, Helion, Arp, Kupka le mouvement Abstraction-Création ! Les formes abstraites se
font sinueuses, souples... les couleurs sont plus encore soutenues. C’est le
moment le plus libre de l’exposition. C'est alors qu'il recherche et formule
son langage universel " non-figuratif" et "non-objectif"...
qu'il présente au Salon des Réalités Nouvelles en 1948. « non
figuratif » le mot est clair, il signifie pas d'identification
iconique ; « non objectif » renvoie non pas à l'objet mais à
inobjectivité grammaticale de la langue. Reste alors selon Herbin la couleur
pure. Ces pensées théoriques sont extrêmement proches de celle d'Hans Hoffman
(RN 1951) à la même époque aux USA avec les concepts de « Pure couleur :
forme plate en couleur non rompue » ou ceux de Josef Albers (RN 1951) « d’interactions colorées » !
On conçoit que la
recherche absolue de l’abstraction ait conduit Herbin à renoncer au cercle, au
carré, au triangle comme forme figure, parce que ce sont des objets figuratifs à
identification iconique par nature. Un carré n’est pas abstrait en soi, c’est
le sens que l’on lui donne qui en fait une abstraction. C’est seulement en
donnant aux formes géométriques une syntaxe non objective qu’ils deviennent une
abstraction et échappent ainsi à leur figuration ! Le code linguistique est une
condition nécessaire de l’abstraction géométrique, et par là-même de toute
abstraction comme l’a démontré le philosophe Gilles Deleuze dans son livre sur Francis Bacon.
Camouflage de biplan - Herbin - 1917 |
En renonçant à tout codage
et en jouant d'une couleur « étant donnée » par l'industrie (code
Pantone par exemple : couleur qui n'existe pas chez Herbin où il n’y a
jamais le fameux Orange 021), le pop art réalisera exactement le même programme
avec des couleurs vives et saturées offrant une culture populaire universelle
qu’illustre Lichtenstein, Warhol ou Hockney !
Toute sa vie Herbin a cherché, comme lui recommandait son ami August Macke (1887-1914), à créer un langage universel pour un art populaire. Auguste Herbin serait donc une figure paradoxale à la fois par sa recherche d'un langage universel, l'ancêtre du pop art, mais par son code syntaxique il en serait aussi le parfait contre-exemple.
Pendant la guerre de 14-18 Herbin était affecté au camouflage.
On peut voir quelques dessins de camouflage d'avions, de biplans... on les
croirait tout droit sortis d'un dessin animé des années 1960 de Georges Dunning
... et au sortir de l’exposition, on se prend à chercher le sous-marin jaune
dans le ciel d'un Cateau-Cambrésis en pleine crise économique !
Dans l'exposition une salle est consacrée au Salon des Réalités Nouvelles et à l'action d'Herbin, avec archives et catalogues d'époque en vitrine.
Le salon y apparaît alors comme une bande de coeurs solitaires du Sergent Herbin... !
Le salon y apparaît alors comme une bande de coeurs solitaires du Sergent Herbin... !
Voilà
aujourd'hui soixante ans
Que le
peintre Herbin apprît au groupe
à peindre
Ils
sont plus ou moins à la mode
Mais
avec eux, on est sûr de ne pas s'ennuyer.
Puis-je
donc vous les présenter
Ceux
que vous connaissez depuis toutes ces années …
Une exposition à voir donc !
Erik Levesque
Le catalogue comprend
entre autres les contributions de Geneviève Claisse, Céline Berchiche et Domitille d'Orgeval,
archiviste des Réalités Nouvelles
Musée Matisse Le Cateau.
Train direct unique le dimanche depuis Paris Nord
Départ 10h36
Arrivée 12h11
Retour 17 h46
Arrivée 19h25
Train direct unique le dimanche depuis Paris Nord
Départ 10h36
Arrivée 12h11
Retour 17 h46
Arrivée 19h25