Le fragment appartient à la création artistique. Détail isolé d'une scène plus vaste, il crée un sentiment de mystère et d'intrigue, incitant le spectateur à imaginer le reste de l'histoire à partir de son indice. Assemblé avec d'autres, il offre une nouvelle composition artistique, détermine un autre point de vue conceptuel, en scrutant les idées de fragmentation, de perte, de mémoire, de reconstruction ou même
de résilience.
Par sa nature le fragment fait écho à l'entier, par sa présence à ce qui a été perdu, à l'absence. A la fin de la deuxième guerre mondiale, Théodore Adorno affirme dans Minima Moralia. Réflexions sur la vie
mutilée que « Das Ganze ist das Unwahre », soit « Le Tout est Le Faux ». Cette assertion garde toute son actualité à l'ère de notre quotidien partagé entre réel et virtuel qui se contredisent en permanence avec notre rythme de vie accéléré, émietté. La partie nous apparaît plus authentique qu’un tout inaccessible pour lequel Hegel soutenait, lui dans sa Phénoménologie de l’Esprit, qu’il avait partie liée à la vérité.
Cette exposition montre un monde fractionné qui s'inscrit sur et avec le papier. Le papier est partie intégrante des œuvres, accessible et fragile, présent dans notre quotidien. Il est plié, découpé, tordu, recyclé. Il est témoin, fil conducteur. Il conserve les traces de nos pensées, de nos passages et les protège de manière éphémère et fugitive.
Stefanie Heyer