Il est aujourd'hui de mode d'interroger l'attitude morale d'un artiste pour critiquer son œuvre ou même tenter de la proscrire. Les exemples ne manquent pas le philosophe Heidegger et son engagement nazi, l'écrivain Céline et son engagement pro-nazi, le peintre Derain et ses liens avec Ribbentrop et les autres dignitaires nazis, le cinéaste Polanski et ses affaires de mœurs, le rocker Cantat et le meurtre de sa compagne Marie Trintignant... etc... Chacun d'entre nous étant sommés de déterminer si l'on peut dissocier l'homme et l'artiste, la vie et l'œuvre. Alors que personne ne semble questionner le fait qu'on puisse être un bon garagiste le jour et aussi un voleur la nuit.
La rétrospective de Hans Hartung au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris apporte à cette question une interrogation supplémentaire.
Peintre de l'abstraction lyrique, membre des RN, Hans Hartung est un citoyen artiste engagé. Né en Allemagne en 1906, il est un héros de la seconde guerre mondiale. Et pas un demi ! Allemand il fuit le nazisme, s'engage dans la légion étrangère française sous le nom de Pierre Berton pour combattre l'Allemagne nazie. Une fois la défaite française encaissée, il se cache en zone libre, celle-ci envahie il passe en Espagne où il est emprisonné, s'échappe, gagne le Maroc, rejoint la légion étrangère, reprend le combat dans l'armée d'Afrique de Leclerc, où il est infirmier. Libye, débarquement de Provence, il est grièvement blessé dans les Vosges amputé en dessous du genou, puis au-dessus. Croix de guerre, naturalisé français il peut revenir à la peinture, aux Réalités Nouvelles de 1946 sous le nom de Jean Hartung, où il retrouve d'autres peintres moins héroïques. C'est le retour de Banco à la table de Macbeth ! Gleizes assis à la même table avait écrit un éloge d'Hitler.... Et c'est pas Auguste Herbin qui va lui faire la morale artistique, Hartung quitte l'association en 1948 avant d'y revenir quand Herbin l'aura quitté...
Mais surtout dorénavant sa blessure, son amputation sera le moyen de sa peinture.
Handicapé, il doit réfléchir au moyen de peindre avec, à partir du handicap né de sa geste héroïque.Son expression lyrique se doit de trouver les moyens nouveaux qui déplacent, transforment la canne anglaise ou le siège pour handicapé où il est logé. Ne pouvant plus se tenir debout longtemps, il ne dansera pas autour de la toile et sa gestuelle corporelle sera recomposée, repensée mille fois. Il esquisse les tableaux à petite échelle, puis les recopie en grand au pinceau fin ! Le tableau passe devant lui. Il change ses outils, brosses à pinceaux multiples, balais de joncs, air compressé, tyrolienne à mortier enfin sulfateuse de vigne avec laquelle il peint les 389 tableaux de sa dernière année de vie alors que la blessure de guerre s'est sur-infectée 40 ans après et le condamne. Il le sait. Le mortier, la sulfateuse autant de noms d'argot qui désigne des armes de guerre... Ses assistants portent même le chapeau colonial de l'infanterie de marine avec humour ! Cette dernière série de tableaux est simplement admirable ! Elle porte la force et le bonheur des papiers découpés d'un Matisse alité.
Alors comment critiquer l'œuvre de Hans Hartung - excellent photographe de portraits - comment exprimer que sa peinture se fait sécheresse par instant, se love dans une couleur et un dessin daté des années 1950, comme du formica, que les esquisses sont admirables et leurs exécutions à grandes échelles sont souvent sèches, le geste perdant sa spontanéité semble se regarder se faire comme le narcissisme de l'artiste. Comment arriver à dissocier l'homme et l'œuvre ? pour rendre justice à l'un et à l'autre ? En un mot c'est sous la condition de cette dissociation esthétique que se pose la question du "beau geste"* avec Hans Hartung !
* Note complémentaire : "Beau Geste" est un film de 1939 de William A. Wellman, avec Gary Cooper dans le rôle principal du légionnaire héroïque, protecteur et magnifique.
La rétrospective de Hans Hartung au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris apporte à cette question une interrogation supplémentaire.
Le légionnaire Berton, alias de Hans Hartung. |
Mais surtout dorénavant sa blessure, son amputation sera le moyen de sa peinture.
Handicapé, il doit réfléchir au moyen de peindre avec, à partir du handicap né de sa geste héroïque.Son expression lyrique se doit de trouver les moyens nouveaux qui déplacent, transforment la canne anglaise ou le siège pour handicapé où il est logé. Ne pouvant plus se tenir debout longtemps, il ne dansera pas autour de la toile et sa gestuelle corporelle sera recomposée, repensée mille fois. Il esquisse les tableaux à petite échelle, puis les recopie en grand au pinceau fin ! Le tableau passe devant lui. Il change ses outils, brosses à pinceaux multiples, balais de joncs, air compressé, tyrolienne à mortier enfin sulfateuse de vigne avec laquelle il peint les 389 tableaux de sa dernière année de vie alors que la blessure de guerre s'est sur-infectée 40 ans après et le condamne. Il le sait. Le mortier, la sulfateuse autant de noms d'argot qui désigne des armes de guerre... Ses assistants portent même le chapeau colonial de l'infanterie de marine avec humour ! Cette dernière série de tableaux est simplement admirable ! Elle porte la force et le bonheur des papiers découpés d'un Matisse alité.
Un exemple de peinture à la tyrolienne |
Erik Levesque
* Note complémentaire : "Beau Geste" est un film de 1939 de William A. Wellman, avec Gary Cooper dans le rôle principal du légionnaire héroïque, protecteur et magnifique.