vendredi 27 février 2015

Entre Ecriture et peinture - Galerie de Buci

"La Lettre Secrète ?"

La Galerie de Buci, nous propose une exposition intitulée "La Lettre Secrète ?" présentée par Virginie Duval, avec des oeuvres de Aksouh, Irith Bloch, Ralph Cutillo, Michèle Destarac, Robert Helman, Karskaya, Sophie Lambert, Erik Levesque, Viera da Silva et Jan Voss.


Du 27 Février au 28 Mars 2015
Galerie de Buci
73, rue de Seine
75005 Paris


du Mardi au samedi de 11h à 19h


L’exposition propose une réflexion sur la notion d’écriture en peinture par l’hypothèse mystérieuse qu’une lettre secrète se trouverait chiffrée dans les œuvres. Un point d’interrogation nous suggère même le carton d’invitation ? Nous pouvons imaginer la lettre secrète comme celle d’une lettre de l’alphabet qui serait cachée dans l’image, ou bien l’image jouerait des signes de la graphie de l’écriture, de celle d’une lettre secrète de quelques héros d’un roman oublié d’Hemingway. Ecrire et peindre en utilisant les mêmes moyens nous suggère le titre ? Ceux  de l’écriture sacrée des scribes ; les hiéroglyphes ? écrire avec des dessins en un alphabet ou est-ce encore faire des idéogrammes un dessin pour un mot, pour un concept ? Ecrire et peindre en grec se disent d’un même mot « Graphein » dont nous avons tiré aussi bien le graphisme, les graffitis  et autres calligraphies, les belles écritures. Ainsi un peintre écrit en assemblant des couleurs et des formes. Il dessine et désigne dans un même mouvement et cette exposition nous invite à nous  interroger : la lettre secrète ne deviendrait-elle pas herbe folle ?




Sophie Lambert (Paris, 1968) nous propose une bien étrange amphibologie bleue , où des écritures couvrent la toile comme des herbes folles ou des algues. La toile est coupée en deux par une zébrure de verts alternés d’ocre jetés. Les bleus s’enchevêtrent dans un entrelacs de dessins répétés et altérés d’où émergeant dans un rouge violine  désaturé et éclaté des poissons muets. Surprenante figuration qui nous interpelle et nous rappelle que tout signe ouvre sur un autre signe.

Ralph Cutillo (New York, 1950 ) nous offre une série de toiles ou l’entrelacs pollockiens, se pense en un cube répété à l’infini en petits formats. Une grande toile nous donne les signes iconologiques de sa propre naissance italo-new-yorkaise, crucifixion, ange, crâne constituent les signes évidents d’une paraphrase byzantine déconstruite sous les coups de butoir des épigrammes d’Hemingway. Entre les deux mondes, parisien où il vit  et le new-yorkais d’où il vient Ralph Cutillo écrit l’éclatement des entrelacs redoublant le chaos du monde pour en organiser le chaos même. Dire le chaos du monde, en être l’organisateur mais aussi le critique.

Michèle Destarac (Yerres, 1943) nous présente une série de pastels à l’écriture heurtée, au geste sec et rapide, incisif. Comme l’affirmation d’une présence au monde immédiate et sûre, où l’écriture ferait vraie image et archive du geste ici et maintenant. Le geste du peintre ne semble pas créer d’autre monde que le monde présent.  Graphe intense, abouti en quelques secondes.

Vieira da Silva (Lisbonne 1908 - Paris 1992) Par  une lettre autographe à la poète Cecilia Meireles écrite ou dessinée de son écriture hachée et répétée où se forme un étrange canevas écrit dans des espaces perspectifs aux multiples points de vues. Le dessin constitue une multitude de fils tendus qui s’imbriquent et se perdent dans des directions variées et infinies. Comme pour traduire l’immatériel de la lumière, des traits fins qui s’entrecroisent, vers le centre de l’œuvre, les traits se densifient vers  le centre, comme un jeu entre la feuille et l’encre… qui tente de sauver l'indécidable...

Irith Bloch (Mulhouse, 1938) des œuvres de petites dimensions faites de fils, sont comme des évocations de l’écriture d’une Pénélope ou d’une Ariane. Des œuvres de fils qui semblent être des reliques sacrées sous verre qui tendent à travers le temps leurs liens. Fils sans filiation s’assemblent en autant de  ligatures, méticuleuses, soigneuses, qui entoureraient le monde comme pour mieux le sauver ou pour mieux le soigner. Morceaux de coutures, nœuds gordiens, qui unit les fils à l’artiste, tendre araignée artiste qui tisse sa toile dans le souvenir et les sensations.  L’entrelacs s'écrit comme un amas secret où vivent cachés les esprits bienfaisants et généreux de la maison.

Jan Voss (Hambourg, 1936) une œuvre sur papier des premières années d’installation à Paris. Une œuvre à l’écriture improvisée en un long continuum de dessins, d’épigrammes. Un hiéroglyphe profane ? c’est un oxymore !  L’écriture est alerte, comme une improvisation joviale. Le blanc couvre l'écriture. L’amnésie suit l’anamnèse. Le graffiti n’est pas loin, dans une improvisation libre et jazzistique sans fin où tous se rejoignent à la coda.

Mohamed Aksouh (Alger, 1934), nous présente en plusieurs toiles  un canevas de touches mesurées, régulières toujours croisées différemment dans un camaïeu d'ocre, de vert dégradés de blanc, en un patchwork évanescent dans la lumière méditerranéenne. La structure en clusters répétés laisse apparaître l'écriture fragile, première qui se dresse construite sur l'entrelacs des signes illisibles et perdus dans la matière douce et tendre de la peinture.

Robert Helman (Galatz, 1910 - Paris, 1990). Une écriture rouge forme la racine d'un corail qui se détache vivement à la vue. Que signifie cette inscription de feu qui semble si symétrique  comme un graffiti urbain?  Evocation des forces de la terre qui nourrissent l'arbre de la vie ? Le rouge cramoisi ici s'oppose au marron de la terre où la racine prend vie et se nourrit sous le blanc cassé d'ocre. Le signe est-il écriture ?  Le mot affleure presque autoritaire face à l'image et se recule, en un lent va et vient entre le signe et la lettre.

Erik Levesque (Paris, 1959) Ecrit dans le jeu de la fusion, du moirage et de l’écoulement d’une couleur acrylique marron de pérylène. Ici, la tache fuse dans la dilution qui se répand sur la toile de lin empreinte le canevas du fil de trame dans des directions déterminées. Comme dans un cirque où se balancent la trapéziste et le porteur, entre le vide et l’amnésie, entre la monstruosité et la grâce des ours dressés. Là, la saturation de l’orange de cadmium coule jongle aux claquements du vert oxyde de chrome et du bleu de cobalt qui semble une lettre mystérieuse et chiffrée. Ils écrivent ensemble les cercles apollonniens dont les mouvements sont en suspens une rime de Jacques Dutronc : « de battre mon cœur, s’est arrêté ».



Ida Karskaya (Bender 1905- Paris 1990). L'oeuvre sombre presque brutale de Ida Karskaya, femme peintre et poète, où zigzague et coupe en deux le vide et le plein de la toile en une césure radicale à la calligraphie obstinée qui tient le contraste ensemble. La toile “Lettre sans réponse “ est dédiée à son mari décédé. Les opposés se tiennent liés, accrochés l'un à l'autre en mouvement qui unit le blanc et le noir et qui nous rappelle que pour la lettre secrète, l’ordre alphabétique n’est qu’un ordre aléatoire parmi tant d’autres possibles …

Bertil de Senarmont