vendredi 16 mai 2014

Hommage à Momcilo Milovanovic (1921 – 2013)

Probablement comme tout art, la sculpture n’est pas contenue dans son résultat. C’est d’abord une relation active avec la nature, la physis. C’est un métier manuel où la rigueur et l’habileté se conjuguent. La sculpture concrétise un rapport de forces, de forces authentiques. L’œuvre de Milovanovic nous fait bien toucher cette réalité-là. S’il cherche pour chaque objet une forme géométrique, c’est sans doute un mode de sacralisation simple qui indéfiniment lui semble la meilleure empreinte de l’Homme sur la Nature.
Il dresse des statues aux formes épurées, harmonieuses, des totems. On ne le remarque au début, mais les dessins, les lignes, les creusements, les saillies, apparemment, rien n’agresse, tout a trouvé son équilibre. Je me suis longtemps demandé se que signifiaient ce respect, cette absence de trouble, cette intemporalité. Je crois qu’en définitive, c’est une offrande. Ce n’est pas une manie de l’ordre. C’est un hommage discret, un salut. Les choses sont en place. L’homme a planté une œuvre élémentaire au milieu du monde. Rien n’est rompu. Tout demeure. Il offre ainsi un point de correspondance, de ralliement, de référence, dans un espace plus vaste, qu’il s’agisse d’un site pittoresque ou d’un ensemble urbain.

Y a-t-il un secret dans l’œuvre de Milovanovic? Sans doute, mais pas plus qu’en toutes choses, semble-t-elle témoigner. Elle nous donne des clés cependant. Mais les clés sont partout. Elle nous rappelle plus profondément que les serrures sont la vie elle-même, la matière même de la vie et il m’a fallu longtemps pour parvenir à la conviction que la matière dominait la sculpture, non point qu’elle l’écrasait, mais qu’elle la manifestait. La sculpture nous parle de la matière. Elle ne fait pas que l’utiliser comme langage. Elle nous renvoie à elle en silence. Et si la matière respire, nous nous interrogeons parfois comme amateurs sur notre propre respiration, ç son contact. Nous sommes alors à deux doigts de penser que la sculpture a manqué le message de l’Homme - vaniteux que nous sommes...
Par l’intervention humaine qu’elle suppose, la sculpture dispense un surcroît de sens humain. Elle n’a rien à perdre à livrer la vérité de son matériau, à la mettre à nu, à taire les artifices, les fioritures, à retrouver le galbe et le grain, renouvelés sous tous les angles par la patiente persévérance du sculpteur - celui-là même que des jeux apparents de répétition semblent avoir peu à peu effacé dans l’œuvre elle-même.
Cette dimension est bien au cœur de l’œuvre de Milovanovic, avec des déclinaisons, ses motifs inversés. Pourtant, pas de suite monotone, mais un ensemble, une articulation d’impression qui font un tout et c’est avec une force déconcertante que les masses, les unités, s’imposent, comme si les sculptures étaient vouées aux volumes qu’elles occupent, aux proportions qu’elles ont prises. Avec Milovanovic, nous comprenons qu’il y a une justesse à chaque échelle.
C’est ainsi : Milo n’a pas besoin de tourmenter la matière d’idées “originales”. S’il y a une pensée chez lui, elle est faite de petits riens, dénués de toute prétention. C’est d’abord l’accord de l’Homme avec la nature. La visée de l’artiste est d’accueillir ce qu’il transforme. Et c’est sans avoir l’air que les sculptures de Milo se gravent comme des emblèmes dans notre imaginaire et nous gardons en mémoire leur silhouette, leurs traits, leurs masses, comme s’il s’agissait d’un peuple familier qui doit habiter nos lieux.
Avec Milovanovic, on ne peut pas fuir, on ne peut pas élucubrer. Il n’y a pas d’espace pour l’anecdote. Il n’y a pas non plus de refus, de protestation, d’extravagance. On sent la poigne ferme du sculpteur. On sent la présence simple de l’objet. Et tant pis pour nous si nous ne savons plus admettre l’art qu’à condition d’épater le bourgeois et de spéculer sur l’éphémère! Et tant pis pour nous si nous ne savons plus considérer l’artiste comme un membre de notre communauté, sans avoir besoin d’étrangler quelques sottises entre deux petits fours ! Viennent ceux, nombreux viennent ceux qui savent s’asseoir sur un banc à la promenade du soir, qui regardent leurs semblables sans ciller. Toute en poursuivant leurs paisibles conversations, ceux-là jetteront un regard tranquille sur l’orbe ou le monolithe que Milo aura déposé dans un jardin public, dans la cour d’une école ...
Christian ROBLIN