dimanche 6 avril 2014

Une tribune de Milija BELIC

L’ART GÉOMÉTRIQUE : EST-IL MAL AIMÉ 
(OU MAL COMPRIS) EN FRANCE ? 

Bien que les manifestations du même genre (expositions, salons, biennales) se multiplient ces derniers temps, une question persiste : l’Art Géométrique est-il mal aimé, ou plutôt mal compris, en France ? 
Les admirateurs, sensibles à cet art réduit aux figures régulières et aux signes qui ne sont pas étrangers aux esprits mathématiques, ne manquent pas, mais ce public averti reste très minoritaire. Déjà l’Abstraction, en tant que mouvement avant-gardiste le plus radical, a eu du mal à être apprivoisé. Quelques rares artistes qui ont œuvré dans ce sens entre les deux guerres ont tardé à être reconnus et surtout compris. On a dû attendre l’an 2010 pour que le MNAM consacre une rétrospective d’envergure à l’un des pionniers de l’Art Géométrique, Piet Mondrian, qui a pourtant bien développé son art à Paris, sa nouvelle plasticité, avant de partir pour les Etats Unis en 1938.

Il y a aujourd’hui très peu de galeries en France consacrées à l’Art Géométrique, à l’Art Construit, à l’Art Concret : la Galerie Denise René, dont le rôle dans l’intégration de l’Art Géométrique et Cinétique est déjà reconnu historiquement, la Galerie Lahumière, la Galerie Gimpel&Müller, la Galerie Cour Carré ou l’espace ParisCONCRET, tous situés à Paris. Et bien que les collections des Musées Nationaux possèdent des œuvres de l’Art Géométrique, ces oeuvres ne sont pas présentées de manière à susciter une idée de l’importance de ce mouvement, devenu depuis longtemps une référence historique. De plus, à l’exception de l’Espace de l’Art Concret à Mouans-Sartoux (Donation Albers-Honegger), aucun musée en France, ni aucune institution, n’est consacré entièrement à l’Art Géométrique, comme c’est le cas en Allemagne (Musée d’Art Construit à Ingolstadt, ZKM à Karlsruhe), en Suisse (Museum Haus Konstruktiv à Zürich), en Hollande (Mondriaanhuis - Museum voor Constructieve en Concrete Kunst à Amersfoort), aux Etats Unis (Museum of Geometric and Madi Art à Dallas) ou au Japon (Musée Satoru Sato de Tome), pour ne citer que quelques exemples. Est-ce que la volupté baroque et les délices de la légèreté de l’être - même quand cette légèreté est « profonde » -  bien enracinés dans la tradition française, l’emportent toujours sur la rigueur, la sobriété et l’austérité de l’œuvre géométrique?  Pourtant, dans le même temps, la nouvelle ère numérique nous a habitués à observer le monde à travers les chiffres et nous a également familiarisés avec la panoplie du virtuel composée principalement de figures géométriques.

Il existe actuellement, chez les adeptes de l’Art Géométrique, en dehors d’un écho lointain de l’enseignement de l’école du Bauhaus, une nouvelle sensibilité, une ouverture d’esprit qui cherche à s’exprimer dans les arts plastiques, l’architecture ou le design, en réunissant aussi bien les pouvoirs émotionnels que les données scientifiques, et en menant inéluctablement vers l’œuvre, tant rêvée, d’un art total. L’art a depuis longtemps dépassé le besoin de représenter les choses. Il crée un univers propre à lui. Les outils géométriques ne sont que les moyens spirituels pour construire ce nouveau monde. L’intelligence des sens ne doit pas nécessairement passer par les mécanismes rationnels. Les objets géométriques ou mathématiques les plus abstraits peuvent devenir la source des émotions esthétiques les plus nobles.  

Dans la richesse de la scène artistique en France, il semble que l’Art Géométrique n’ait pas encore la place qu’il mérite. Puisse la présente exposition combler en partie ce manque et offrir un vrai sujet de réflexion.


Milija BELIC


Commissaire de l’exposition « Carrément » 
Exposition du 12 au 27 avril 2014
Vernissage le mardi 15 avril 2014 de 18h à 21h