"Paysage de Pégoma", 1978 - huile sur toile, 130 x 162 cm Courtesy Galerie Nicolas Deman |
La peinture de Kimura est inspirée du choc culturel, entre la lumière méditerranéenne et la culture japonaise de son enfance qui laisse place à un « chaos-germe ». Car le peintre ne se confronte pas seulement aux forces de la nature et à la lumière méditerranéenne mais à ce que les peintres comme Cézanne, Bonnard ou Matisse en ont fait. Le paysage que regarde et que dessine Kimura est peinture pure, abstraction intérieure.
Certes on peut reconnaître ici ou là une figuration allusive, un vélo un arbre mais l’ensemble est si chaotique, comme déstructuré, lardé de coups de pinceaux, qu’il semble que la sensation, sa sensation soit broyée par sa propre violence de la rencontre culturelle Occident-Orient. Ici quand quelque chose naît une autre puissance vient la détruire, la submerge immédiatement.
Fait essentiellement de paysages « absolument non identifiables » peints à l’huile sur toile ou au pastel gras sur papier, l’œuvre de Kimura, joue de l’écrasement, du raclage au couteau de la pâte lourde rose ou verte, acide opposée à des rouges terreux, des coups de pinceaux rageurs, impulsifs semblent des graffitis niant quelque chose d’ancien.
On retient de l’ensemble un sentiment de dépouillement, comme une anamnése, ce souvenir qui s’efface et pourtant reste alors que tout veut le sacrifier.
Après la galerie Camera Obscura l’année dernière, la galerie Nicolas Deman présente une dizaine de ses grands formats puissants à la poésie hermétique, où ce qui est mis en cause par Kimura c’est la notion même de « paysagisme » abstrait. Sa peinture n’a que faire de nous parler d’un bout de jardin, ou d’une colline puisqu’elle est trace d’un choc pictural ouvrant la nécessité de peindre.
"Midi", 1980 huile sur toile, 120 x 120 cm Courtesy Galerie Nicolas Deman |
Galerie Nicolas Deman, 12 rue Jacques Callot 75006 Paris du 11 octobre au 5 Novembre du mardi au samedi de 11hà13h et 14h30 à 19h.
Antiquaire spécialisé dans le XVIIIe (Hubert Robert, Greuze, Fragonard, Ver Meer, etc….), René Gimpel (1881-1945) nous a laissé un témoignage unique sur le métier de marchand de tableaux dans les années 1920 et 1930 : son journal intime !
Celui-ci est aujourd’hui réédité par les Editions Hermann. Edition plus complète que celle de 1963, mais pas encore exhaustive puisque que les éditeurs et la famille considèrent comme sans intérêt pour le lecteur des noms peu connus et les listes de prix d’achat … qui ne sont donc pas publiés …. En attendant donc, l’édition exhaustive avec notes, références et appareil critique, le Journal d’un collectionneur marchand de tableaux de René Gimpel est un régal, une plongée synoptique dans la vie parisienne et internationale !
En effet René Gimpel élargit son activité après la première guerre mondiale. Il devient également marchand de tableaux modernes, achetant impressionnistes, visitant les ateliers d’artistes, qu’ils soient classiques, cubistes, modernes, à Paris ou à New York... il est aussi critique et historien de l’art… et écrit même des pièces de théâtre !
La lecture de ses 750 pages achève de nous convaincre, s’il était besoin, que le marché parisien n’a jamais été un paradis au centre du monde, et que l’idée d’un « Paris Capitale des Arts » volé par New York est juste une douce illusion d’optique … Les grands collectionneurs s’appelaient Eastman-Kodak, Ford, Rockfeller, etc…
D’ailleurs René Gimpel a une galerie à New York depuis 1902 !
Au fil des pages il décrit le commerce triangulaire Paris-Londres-NewYork de 1918 à 1939 et celui de ses amis marchands de tableaux (Vollard, Durand-Ruel, Paul Rosenberg, Joe Duveen son beau-frêre, Nathan Wildenstein avec qui il est associé) puisqu’il s’agit pour eux d’acheter des tableaux ou des œuvres d’art en France qu’ils s’empressent de vendre aux USA et en Angleterre (mais il faut dire que l’inverse est vrai aussi). D’où sa remarque scandalisée quand est votée la loi du 30 avril 1920 (abrogée en 1922) qui taxait les exportations d’œuvres d’art de 100% … « que l’on classe quelques objets dont nous n’avons pas l’équivalent dans nos musées ou sur les murs de nos églises, mais prohiber la sortie de l’art, c’est porter atteinte à l’expansion de la pensée française. »
D’ailleurs René Gimpel a une galerie à New York depuis 1902 !
Au fil des pages il décrit le commerce triangulaire Paris-Londres-NewYork de 1918 à 1939 et celui de ses amis marchands de tableaux (Vollard, Durand-Ruel, Paul Rosenberg, Joe Duveen son beau-frêre, Nathan Wildenstein avec qui il est associé) puisqu’il s’agit pour eux d’acheter des tableaux ou des œuvres d’art en France qu’ils s’empressent de vendre aux USA et en Angleterre (mais il faut dire que l’inverse est vrai aussi). D’où sa remarque scandalisée quand est votée la loi du 30 avril 1920 (abrogée en 1922) qui taxait les exportations d’œuvres d’art de 100% … « que l’on classe quelques objets dont nous n’avons pas l’équivalent dans nos musées ou sur les murs de nos églises, mais prohiber la sortie de l’art, c’est porter atteinte à l’expansion de la pensée française. »
René Gimpel a le trait acerbe, il saisit les personnages dans leurs attitudes, les peintres dans leurs ateliers comme un caricaturiste mordant. C’est à l’acide de l’eau-forte que semble fait les portraits de Renoir, de Monet, de Mary Cassatt, de Picasso et de sa femme dont il dit, par exemple, à propos de leur rencontre à Dinard en 1921 :
« C’est un bout d’homme. Le chef de l’école cubiste est en boudin, en boudin ivoiré. (…) l’apôtre du cubisme, l’apôtre des formes, des masses, est lui-même un raté au physique et il a épousé, oh ironie, un corps à plaindre ! Mais ils me disent qu’ils ont un bébé de dix-huit mois, colossal ! » (p.285), de Braque, Matisse (sa surprise d’apprendre que ce dernier vérifie ses rapports de tons avec des papiers découpés), les collectionneurs et galeristes Wildenstein, Bernheim, Jeanne Bucher, Louis Carré, etc … les écrivains Marcel Proust, Sacha Guitry et Charlie Chaplin ! La vie misérable et difficile des peintres comme celle du gendre de Monet le peintre Butler à New York …. Sans parler de Picasso faisant saisir le 12 mai 1930 par la police en civil dans les galeries parisiennes 400 de ses dessins que sa mère a vendu à Barcelone pour quinze cents pesetas sans son consentement !
La première exposition des Réalités Nouvelles (p710) en 1939 y est décrite succinctement, en effet René Gimpel s’intéresse alors aux abstraits. On y retrouve Fredo Sidés, le fondateur des RN décrit comme « un être pittoresque » associé de Gimpel aux USA et à Paris, les Delaunay dont il semble comprendre qu’ils sont « une chose assez abominable ») (p.716), on y voit les non-objectifs, on y lit la description admirative d’une sculpture de Pevsner (RN47) et du travail de Gleizes (RN47) !
Sa famille alsacienne s’était réfugiée à Paris en 1871, aussi dés l’armistice de1940, René Gimpel crée un premier réseau de résistance avec ses fils Ernest, Pierre et Jean. Ses fils s’engagent dans l’armée britannique, Ernest sous le nom de Charles Beauchamp est parachuté en France pour des opérations commandos. Il épousera après la guerre Kathleen Moore (Kay) officier canadienne du service action (SOE) et responsable entre autres des parachutages en France. Ensemble avec Pierre, ils fondent en 1946 la galerie René Gimpel (fils) à Londres en hommage à leur père arrêté par Vichy en 1942, dénoncé par un confrère et remis aux Allemands à Lyon. René Gimpel meurt d’épuisement dans le camp de concentration de Neuengamme, le 3 janvier 1945.
René Gimpel Journal d’un collectionneur marchand de tableaux Hermann Editeurs 2011 - 750p.