samedi 25 octobre 2025

Abstraction-Création un regard rétrospectif au Arp Museum

Le musée Arp de Rolandseck présente l'exposition Abstraction-Création  1931-1937 Paris Netzwerk,  autrement dit Abstraction-Creation Paris 1931-1937 Réseau  et ce à deux pas de Cologne (Allemagne). 

Le musée est situé en dessous et au dessus d'une gare desservie et fonctionnelle (6 trains par heure passagers et trains de marchandises alternent), gare du 19e siècle en dentelles d'acier qui semble avoir échappé aux bombardements alliés. L'entrée est en dessous (caisse, boutique et vestiaire)  et vous conduit à un tunnel qui vous mène à un ascenseur qui lui-même vous dépose 60 mètres plus haut dans un bâtiment brutaliste de l'architecte Richard Meier, sorte de moderne château-fort sur le coteau qui surveille le Rhin et la Lorelei. 


La curatrice Astrid von Asten a su y reconstituer en 6 salles, l'atmosphère et le concert des œuvres présentées lors des 5 sessions d'Abstraction-Création de 1931 à 1937, dont l'association Réalités Nouvelles est l'héritière légale, l'ayant-droit juridique et le prolongement post-moderne.

Le premier catalogue était mis en page par Jean Hélion
 
Tous les  "mères et pères fondateurs" sont là, présentées par une ou deux œuvres qui se répondent l'une l'autre. C'est impressionnant, de trouver l'esprit et le zeitgeist qui prévalait à leurs créations entre espérance volontaire d'un monde meilleur et catastrophes qui s'annoncent et dont nous, nous connaissons la date programmée. Pour le dire, en suivant Jean Hélion, l'abstraction semble porter en elle-même son espérance et sa part de déshumanisation dans un projet esthétique et social qui se veut généreux. 

 


Comme des papillons aveuglés par la lumière chacun semble aller se faire brûler les ailes. La déclaration du second cahier de 1933, dit tout de cette époque où soufflait le vent mauvais de la xénophobie et du nationalisme auquel les artistes se refusent :  

 « Le cahier « Abstraction Création » numéro deux paraît au moment où, sous toutes les formes, sur tous les plans, dans quelques pays d’avantage qu’ailleurs, mais partout, la pensée libre est fermement combattue. […] Nul ne peut à l’avance déterminer ce que sera l’art prochain. Toute tentative de limiter les efforts artistiques selon des considérations de races, d’idéologies ou de nationalités est odieuse. Nous plaçons ce cahier numéro deux sous le signe d’une opposition totale à toute oppression, de quel qu’ordre que ce soit» ( in Cahier d’Abstraction Création, n°1, 1932, p. 1.) 

 


Et pourtant, tous les artistes n'ont pas les mêmes penchants politiques, loin de là, depuis un Herbin fervent communiste stalinien (il ne rendra sa carte au parti communiste qu'en 1948 !), à un Delaunay radical-socialiste déserteur-pacifiste en 1914, un Gleizes admirateur toute honte bue, d'Hitler et de la régénération de la race à partir de 1931.  (Voir les études de Remy Golan ou de Peter Brooke et surtout les écrits de Gleizes dans la revue Régénération 1933) 

 

 

Toutes les couleurs, toutes les nationalités, tous sont là depuis  Calder en mobile, Marlow Moss, Paule Vézelay (à la figuration allusive) ou Barbara Hepworth,  faut-il dire tous les noms de Kupka, à Baumeister ou Bill... Schwitters ou Sophie Tauber-Arp qui dit l'essentiel : "J'ai le plus grand plaisir à présenter mon travail parmi ceux des autres. On ne voit jamais son œuvre objectivement à l'atelier".

 

Ils ne vendaient rien, croyaient qu'un nouvel art allait sauver l'humanité de la bêtise. Ils sont là, solidaires devant l'adversité, payant leurs cotisations, frais d'exposition et de catalogues "envoyez deux photos, un article court à propos de votre travail, ou vos propres écrits ou une simple note biogaphique, accompagnés de 200 francs  (150 euros d'aujourd'hui !!) ", écrit Sophie Taueber-Arp le 25 janvier 1932 à Friedrich Vandemberge-Gildewart.  Chacun alternativement faisant la mise en page annuelle du catalogue, participant à la location d'un espace 44, avenue de Wagram dans le 17e arrondissement, gardant la galerie à tour de rôle le temps de l'exposition. Tous les process de Réalités Nouvelles, qui sont à l'œuvre aujourd'hui à l'ère de la société numérique,  sont là : Solidarité, Comité, Galerie, et le Salon (depuis 1946) se sont substitués à Abstraction-Création, alors que les définitions esthétiques de l'abstraction se sont ouvertes et globalisées.

On découvre des artistes peu connus ou oubliés comme Laure Garcin qui assimilait abstraction et symbolisme, Paul Roubillotte ou l'irlandaise Mainie Jellett.. sur les 400 artistes qui avaient participé à la série d'une des 5 expositions. 



 

 

Aujourd'hui dans un zeitgeist où chaque homme est artiste, le robot un producteur culturel, l'expérience d'Abstraction-Création est une merveille, un vrai secret fertile,  que nous avons su prolonger et continuons d'interroger. 


Abstraction-Création 1931-1937 Paris Netwerk
Arp Museum
Bahnhof Rolandseck 

jusqu'au 11 janvier 2026  11h00-18h00

Catalogue en allemand et anglais chez Hirmer 

#202 - Architecte- Artiste 5